Le 10 janvier 1893, au château de Sigmaringen (Allemagne), berceau des Hohenzollern, la dynastie roumaine, Marie de Grande-Bretagne épouse Ferdinand, l’héritier du trône roumain. "J’étais une toute jeune fille, svelte, fluette, aux cheveux blond très pâle. (...) Je semblais aussi absurdement jeune que je l’étais réellement et j’avais l’impression de jouer à la grande personne." Ainsi se décrit, dans ses mémoires **, celle qui deviendra pour son peuple "Mama Regina", incarnation de la nation souffrante et résistante pendant la Grande Guerre. Sa vie en Roumanie, pourtant, démarre difficilement. Quel changement pour la princesse à l’enfance cosmopolite riante...
La jeune Marie doit s'adapter à son nouveau pays
Marie, surnommée Missy, est née le 29 octobre 1875, au manoir d’Eastwell, dans le Kent. Sa mère, Maria de Russie, est la seule fille survivante du tsar Alexandre II, et son père, Alfred, duc d’Édimbourg, le deuxième fils de la reine Victoria. En 1886, le prince Alfred est nommé commandant de la Royal Navy en Méditerranée, à Malte. Un paradis ensoleillé où Missy grandit en liberté, sillonnant l’île à cheval, et qu’elle a bien du mal à quitter quand son père, appelé à succéder à son oncle Ernest II, duc souverain de Saxe-Cobourg-Gotha, rejoint en 1889 avec sa famille les brumes germaniques de Cobourg, en Bavière.

Le temps de l’insouciance, désormais, est compté, car la duchesse d’Édimbourg tient à établir ses filles et se met en quête de maris. Pour Missy, ce sera donc Ferdinand de Roumanie, jeune homme effacé vivant dans l’ombre de son oncle, le roi Carol. "Chose étrange, c’est précisément cette timidité inouïe qui m’attirait. (...) On se découvrait pour lui des tendresses de mère et un vif désir de lui venir en aide." Au déchirement de la séparation d’avec ses parents et ses quatre frère et sœurs, succède pour Marie la terrible déception de l’arrivée à Bucarest, dans un palais royal austère et atrocement décoré.
Son quotidien n’est guère réjouissant auprès du rigide roi Carol, dont l’épouse, l’excentrique reine Élisabeth, poétesse sous le pseudonyme de Carmen Sylva, est exilée pour avoir favorisé naguère une idylle entre Ferdinand et une jeune roturière. Privée de liberté, et seulement entourée de douairières, Marie s’étiole et déprime. Inquiet de sa neurasthénie, "der Onkel" (l’oncle) l’emmène découvrir les alentours de Bucarest puis, bientôt, Sinaia, dans les Carpates, sa résidence d’été. Émerveillée, la jeune Anglaise parcourt à cheval ces paysages enchanteurs, rencontre les habitants et commence à faire corps avec son futur royaume et, bientôt, son armée. Carol Ier nomme en effet cette cavalière émérite colonelle honoraire du très prestigieux 4e régiment des Hussards rouges de Roshiori.

"Marie, en dolman rouge à brandebourgs noirs, colback et jupe blanche, va prendre très au sérieux cette promotion. (...) Cette image que la guerre mondiale va populariser sera l’un des éléments les plus forts de la 'médiatisation' de son personnage", écrit Guy Gauthier***. Neuf mois après le mariage, un premier fils, Carol, voit le jour, rejoint par Élisabeth, un an plus tard. Ferdinand et Missy ont enfin droit à leurs propres logements : le palais de Cotroceni, aux portes de Bucarest, et le chalet Foishor, à Sinaia. Les relations sont devenues amicales entre l’oncle-roi et cette nièce dont il admire secrètement la fermeté de caractère, et à laquelle il sait gré d’avoir assuré, avec quatre nouvelles naissances, l’avenir de la dynastie.
Une nouvelle souveraine acclamée par le peuple roumain
La Première Guerre mondiale ravive pourtant leur antagonisme. Pour l’Anglo-Russe Marie, comme pour les Roumains majoritairement francophiles, le pays doit s’engager au côté de l’Entente. Pour Carol Ier, un Hohenzollern, seule compte la Triple-Alliance... Finalement, le roi se prononce pour la neutralité. Il disparaît quelques mois plus tard, le 10 octobre 1914. À Ferdinand, qui songe à abdiquer, Marie offre un gobelet d’or gravé de cette inscription : "Demain peut être à toi, si ta main est assez forte pour le saisir."
Tandis que le nouveau roi prête serment au Parlement, sous les acclamations, un deuxième nom retentit soudain : "Regina Maria ! Regina Maria !" Les Roumains célèbrent leur nouvelle et éblouissante souveraine dont ils ont éprouvé, l’année précédente, lors du conflit avec la Bulgarie, le courage et le dévouement à l’égard des victimes du choléra. "En ce moment-là, je compris que j’avais gagné la partie ; la jeune fille d’au-delà des mers n’était plus une étrangère."

Corps et âme, la reine de 39 ans se voue à sa patrie, et convainc Ferdinand de s’engager auprès des Alliés. Le 28 août 1916, la Roumanie déclare la guerre à l’Autriche-Hongrie, mais se trouve vite envahie... Bucarest tombe le 6 décembre, un mois seulement après que la typhoïde a emporté le petit Mircea, sixième et dernier-né du couple. Le gouvernement se replie en Moldavie. Malgré son deuil, la reine-soldate ne faiblit pas et prodigue inlassablement réconfort et soins aux blessés. Jusqu’au bout, elle refuse de pactiser et persuade Ferdinand de ne pas signer l’infamant traité de paix conclu avec les Austro-Allemands le 7 mai 1918.

Le 9 novembre 1918, la Roumanie reprend les armes, deux jours avant l’armistice, ce qui lui permet de s’asseoir à la table des vainqueurs et de réclamer la réalisation des promesses territoriales faites par les Alliés. Clemenceau rechigne. Marie joue les ambassadrices à Paris, qui la célèbre comme la Jeanne d’Arc roumaine. Du Tigre, la Lionne obtient un considérable agrandissement du territoire. Grâce à elle, la Grande Roumanie est enfin réunie. La Transylvanie, reconnaissante, lui offre le château de Bran, dans les Carpates. De la demeure de Dracula, Marie fait sa résidence d’été.
"Son âme, son cœur, tout était ici"
La Transylvanie servira aussi de cadre à la fastueuse cérémonie du couronnement des souverains roumains, le 15 octobre 1922, à Alba Iulia. "La reine Marie — que le comte de Saint-Aulaire a comparée un jour à l’impératrice Théodora, mais 'une Théodora habillée rue de la Paix'— a voulu rappeler que la Roumanie moderne (...) vient en droite ligne de l’Empire byzantin", écrit Guy Gauthier. En une apparition, son allure subjugue les foules. Comme le lendemain, quand elle participe à cheval, au côté du roi, à l’entrée solennelle à Bucarest, en tenue de colonel des Hussards, comme lors du défilé de la Victoire.

À la mort du roi Ferdinand, le 20 juillet 1927, leur petit-fils Michel, un enfant de 6 ans, monte sur le trône. Le prince Carol, joueur et ingérable, a abandonné la mère de son fils, Hélène de Grèce, et a renoncé à ses droits dynastiques pour les beaux yeux d’Elena Lupescu, une rousse flamboyante. Lors de la régence exercée par son deuxième fils, le prince Nicolas, Missy s’adonne à ses passions : l’aquarelle et l’écriture. Elle entame la rédaction de ses fameux mémoires. Mais le retour brutal de Carol sur la scène politique, qui s’empare du trône de son propre fils, en...
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