Longwood House, la dernière demeure de l’Empereur

À visiter la maison de son exil, Napoléon semble l’avoir quittée la veille. Directeur des domaines nationaux à Sainte-Hélène, consul honoraire de France, Michel Dancoisne-Martineau aura mis trente ans à rétablir la Tombe, le Pavillon des Briars et surtout Longwood House dans l’état du 5 mai 1821, jour de la mort de l’empereur. Laissez-vous guider par cet accoucheur de mémoire.

Par Antoine Michelland - 10 mai 2021, 12h15

 L’entrée principale de Longwood House, à Sainte-Hélène, où Napoléon vécut ses dernières années en exil, sous l’œil de la garnison britannique.
L’entrée principale de Longwood House, à Sainte-Hélène, où Napoléon vécut ses dernières années en exil, sous l’œil de la garnison britannique. © Getty Images

À gravir la brève volée de marches qu’il a foulées tant de jours de son exil, l’envie vous prend de baisser soudain la voix, comme pour mieux écouter la légende portée par les alizés griffés de brumes qui viennent battre contre les fenêtres de Longwood House. La porte poussée, voici le parloir. Les murs ont retrouvé leur couleur vert "de Paris". Le billard de bel acajou chaud, propice à étaler les plans des batailles passées, semble attendre le souverain déchu qui, la veille encore, dictait ses mémoires au grand maréchal Bertrand. Le long du mur, le canapé est veuf de visiteurs.

Un méticuleux travail de reconstitution 

Deux globes terrestre et céleste montent une garde sans fin, témoins de ce que Napoléon voulut être maître du monde. "Le mobilier est celui qui était là le 5 mai 1821, jour de la mort de Napoléon", sourit Michel Dancoisne-Martineau, consul honoraire de France et directeur des domaines nationaux à Sainte-Hélène. "Aux murs, nous avons accroché des gravures représentant des épisodes de la vie de l’empereur pour faire écho à sa propre épopée, telle qu’il voulait que l’histoire la retienne."

À travers les persiennes de la pièce, dont certaines lattes ont été perforées pour permettre à Napoléon d’observer les mouvements des troupes anglaises sur le Flagstaff sans être vu, on aperçoit des allées creuses, des massifs éclaboussés de fleurs d’agapanthes, de jasmins, d’iris, de Kniphofias…

"Les jardins témoignent de ce que l’exil se déroule en deux périodes. La première va de l’arrivée, fin 1815, jusqu’au congrès d’Aix-La-Chapelle, fin 1818. Dans cet intervalle, Napoléon met tout en œuvre pour obtenir d’être considéré non comme un prisonnier de guerre, le général Bonaparte, mais comme un prisonnier d’Etat, avec rang de souverain. Il mène cela comme une campagne, recevant beaucoup de visiteurs influents à Longwood. Mais quand il apprend son échec et le maintien de son statut, son attitude change. Il ne reçoit plus, se replie et façonne le paysage qui l’entoure, sur lequel il a prise." 

Une marotte que les geôliers anglais favorisent d’autant plus qu’il est facile de surveiller leur prisonnier quand il jardine. Toutes les espèces qu’il demande sont acheminées par bateau depuis l’Afrique du Sud.

Le parloir avec son mobilier d’origine, retrouvé sur l’île et racheté par le directeur des domaines nationaux à Sainte-Hélène. © napoleonsthelena.com
Le parloir avec son mobilier d’origine, retrouvé sur l’île et racheté par le directeur des domaines nationaux à Sainte-Hélène. © napoleonsthelena.com

Dès son installation à Sainte-Hélène, en 1987, à la suite de son père adoptif, Gilbert Martineau, précédent conservateur des domaines français de l’île, Michel entreprend de rétablir les jardins, alors réduits à leur plus simple expression, dans leur état de 1821. Il commence par ceux d’Ali et Marchand, jusqu’en 1995, puis les jardins ouest, jusqu’en 2002, et enfin les parterres nord. "Je me suis appuyé sur les listes retrouvées des fameux convois de plantes, sur les photos aériennes effectuées par la Marine nationale dans les années 1980, révélatrices des tracés, sur les notes d’Ali, le second valet de chambre de Napoléon, sur les relevés des jardins faits en 1860 par le capitaine du génie Eugène Masselin, venu seconder le tout premier conservateur de Longwood, Martial Gauthier de Rougemont, ancien officier de la Grande Armée, envoyé par Napoléon III en 1858, juste après l’acquisition du domaine et de la tombe vide."

La résurrection de Longwood House 

Longwood House n’est plus à ce moment-là qu’un bâtiment agricole en déshérence dont l’essentiel du mobilier a été vendu aux enchères dans les mois qui ont suivi la mort de l’empereur. Vaille que vaille, les conservateurs successifs, placés sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères, s’ingénient à y faire revivre le souvenir de l’exil de l’Aigle. Entre l’humidité, les vents, les nuisibles, l’entretien des bâtiments s’avère un perpétuel défi. Que relève Michel Dancoisne- Martineau.

Le salon où avait été installé le lit de campagne de Napoléon pour son agonie. © napoleonsthelena.com
Le salon où avait été installé le lit de campagne de Napoléon pour son agonie. © napoleonsthelena.com

En quelques années, il parvient à éradiquer, termites et rats, assainit la maison, notamment par d’importants travaux d’isolation. Reste le plus dur. Passer de la présence fantomatique du grand exilé à la restitution de l’état du 5 mai 1821. De l’illusion à la mémoire.

En 2001, le tournage de la mini-série Napoléon, par le réalisateur Yves Simoneau permet de redonner aux façades leur couleur originelle. La restauration intérieure et la reconstruction de l’aile des généraux devront attendre 2012 et la souscription lancée par la Fondation Napoléon. Michel, lui, n’attend pas pour s’atteler, de 1988 à 1993, avec l’aide des Héléniens, à la restauration du pavillon des Briars, où Napoléon avait passé ses deux premiers mois à Sainte-Hélène.

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Il traque aussi avec une patience de bénédictin, tous les meubles de Longwood, vendus aux enchères en 1822. "Le nom des acheteurs était mentionné dans les archives. Heureusement, nous sommes sous la loi anglaise et les successions se font sur testament et avec inventaire. Il faut suivre la trace, génération après génération, acquéreur après acquéreur." 

Sur cent quatre-vingts meubles, Michel en retrouve ainsi cent vingt. "Je les ai rachetés à titre privé, et à des prix locaux. Une fois le fonds constitué, le Ministère de la Culture les a acquis en un seul lot, et placés sous la responsabilité de la Malmaison sur le plan administratif." 

Parmi ces pièces historiques, les deux tables à jeux qui ont retrouvé leur place dans le salon de Longwood où Napoléon lisait, écoutait de la musique et où s’est déroulée son agonie. Là aussi, c’est cet état final qui est désormais restitué, avec un lit semblable à celui où l’empereur déchu s’est éteint à 17h49, le 5 mai 1821. L’original étant aux Invalides.

La salle du billard, elle aussi d'origine. © napoleonsthelena.com
La salle du billard, elle aussi d'origine. © napoleonsthelena.com

Aux murs, un portrait du Roi de Rome par Isabey et – concession au principe de restitution –, une gravure de Jean-Pierre-Marie Jazet, d’après Charles Steuben, représentant la mort de Napoléon. La salle à manger, complète de son mobilier d’origine, s’orne d’une galerie de portraits, gravures de Delpech représentant les épouses, la mère et la famille de l’empereur. Les appartements privés se résument à deux chambres et une salle de bain, avec sa baignoire de cuivre où l’exilé passait des heures entières.

"Le souffle de vie le plus puissant qui jamais anima l’argile humaine"

La première des deux chambres est celle où fut exposé le corps du souverain déchu, le 6 mai. Tendue de noir, elle comporte un lit de campagne drapé de violet, avec à sa tête une table où sont exposés crucifix, pique-cierges et calices en argent offerts par Napoléon III au premier conservateur de Longwood.

Contraste saisissant avec la chambre à coucher de l’exilé, recouverte de mousseline blanche, semblable à celle qu’avait fait installer Marchand, premier valet de l’empereur. Écritoire, secrétaire, chaise chinoise, tout le décor est en place d’un quotidien aux antipodes des fastes des Tuileries. Cuisine, chambre dite de Marchand, avec sa belle armoire à linge Regency, destinée aux uniformes de son maître et au rangement des tabatières et objets précieux, cellier où sont exposés fragment du catafalque de Napoléon et aquarelles figurant le retour des cendres, en 1840, chambre d’Ali, tout le Longwood House de l’Aigle donne l’impression qu’il y était encore la veille.

Gravure du temps représentant Longwood vu du jardin fleuriste, en 1818.© napoleonsthelena.com
Gravure du temps représentant Longwood vu du jardin fleuriste, en 1818.© napoleonsthelena.com

Même la bibliothèque fait assez illusion. "C’est cependant la dernière pièce nécessitant une intervention lourde. Le projet est prêt, avec deux répliques des corps...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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