"Malbrough s’en va-t-en guerre / Mironton , mironton, mirontaine / Malbrough s’en va-t-en guerre / Ne sait quand reviendra…" Mise à la mode par Marie-Antoinette, la célèbre comptine est toujours au menu des maternelles entre Une souris verte et En passant par la Lorraine ! Pour autant, plus personne ne sait, en France, qui était ce va-t-en-guerre dont l’épouse guette le retour du haut d’une tour tandis qu’il est déjà mort. Une triste histoire qui fit pleurer dans les chaumières, alors même qu’il s’agissait, écrit Voltaire, de "l’homme le plus fatal à la grandeur de la France".
Un homme séduisant
John Churchill naît en 1650, dans le Devon. De petite noblesse non titrée et récente, fidèle à la cause royaliste sous Cromwell et doté de neuf enfants, son père, Winston Churchill, ne voit l’horizon s’éclaircir qu’avec la Restauration des Stuarts, en 1660, et son élection au Parlement. Ses deux aînés, John et Arabella, montrent des dispositions pour la course aux plaisirs que leur offre la Cour débridée de Charles II. En 1665, Arabella devient la maîtresse du frère du roi, James, le duc d’York, auquel elle donnera quatre enfants, légitimés sous le nom de Fitz-James-Stuart. De son côté, John est page du duc d’York.
À 20 ans, il intègre un régiment affecté à la garde du roi et fait des ravages à la Cour en s’attaquant, sans complexe, à la duchesse de Cleveland, maîtresse en titre de Charles II. Le roi pardonne mais, prudent, l’envoie à la Cour de France chez son cousin germain, Louis XIV. Pendant la guerre de Hollande, Churchill participe au siège de Maastricht dirigé par Vauban, puis sert sous les ordres de Turenne, qui lui aurait donné ce surnom de "Bel Anglais". À 27 ans, il est brigadier général d’infanterie et chargé de missions diplomatiques, alors que se construit, sous l’égide de l’Angleterre, une coalition contre la France.

Entretemps, il a rencontré la femme de sa vie, Sarah Jennings, fille d’honneur de la seconde épouse du duc d’York, Marie de Modène. Aussi belle qu’intelligente et passionnée, surnommée le "Mont Etna" par ses adversaires, elle va former avec ce séducteur impénitent, "beau comme un ange", un couple modèle en un temps où la fidélité conjugale n’est guère de mode. Sarah a exigé de son époux qu’il brûle ses lettres, mais elle a conservé les siennes. Une source incomparable qui révèle une femme passionnée de politique et soutenue par son mari, bien que ne partageant pas les mêmes convictions. Lui est un tory modéré, tandis qu’elle penche pour les whigs. Ils auront sept enfants. Leur fille Anne, épouse de Charles Spencer, transmet le titre de duc de Marlborough à sa descendance dont, au XXe siècle, Winston Churchill et Diana Spencer, princesse de Galles.
D'amour et de combats
On ne peut que résumer les années très troublées qui précèdent l’apogée de sa carrière, à plus de 50 ans. Ses louvoiements entre Charles II, anglican et tolérant, et son frère, le duc d’York, farouche catholique, l’ont rendu suspect aux yeux des deux camps. Le duc d’York, devenu Jacques II, le comble de titres et de biens. Mais après la Glorieuse Révolution de 1688, John prend le parti de la reine Marie et de son époux, Guillaume d’Orange, également proclamé roi. Et il est très proche de la sœur de Marie, la princesse Anne, amie intime de son épouse Sarah et héritière du trône. Les deux sœurs sont protestantes, contrairement à leur père Jacques II. Churchill l’est aussi et se justifie à ce titre d’avoir abandonné Jacques II, qui a trouvé refuge à la Cour de France.
La guerre de la Ligue d’Augsbourg, unissant Angleterre, Provinces-Unies et Empire contre Louis XIV, redistribue les cartes. Churchill bataille sur le continent et combat les jacobites en Irlande. Cependant, la méfiance de Guillaume d’Orange à son encontre perdure. Le voilà disgracié en 1692, interné à la tour de Londres et privé de toutes ses charges. La princesse Anne est furieuse, et seule la mort de la reine Marie, en 1694, contraint Guillaume III à rétablir les Churchill. Le traité de paix de Ryswick a consacré la défaite de la France. Guillaume apparaît comme le grand vainqueur, mais il est très contesté en Angleterre parce qu’autoritaire, calviniste, belliciste et étranger.

Churchill est alors l’un des principaux chefs du parti tory, un diplomate de haute volée et le meilleur général anglais. Alors que se noue une nouvelle coalition contre la France et l’Espagne, tous les espoirs lui sont permis. Clément Oury, spécialiste de la guerre de Succession d’Espagne, dresse l’impressionnant panorama de ses campagnes militaires de 1701 à 1713. Un seul homme peut alors lui être comparé, le prince Eugène, qui, comme lui, a fait ses débuts à la Cour de France et est désormais au service de l’empereur. Ramillies, Audenarde, Malplaquet, autant de victoires qui font résonner le nom de Marlborough dans toute l’Europe, et, plus encore, Blenheim, le premier grand désastre militaire infligé à Louis XIV. Le 13 août 1704, après une marche de 400 kilomètres à travers la Bavière sous un déluge de pluie, le duc met en déroute Français et Bavarois. Une bataille "immortelle", écrira son illustre descendant, Winston Churchill, qui lui a consacré une biographie dithyrambique.
Un héro déchu
En 1705, annus mirabilis, Marlborough est accueilli en héros à Londres. Déjà titré duc en 1702, il reçoit un domaine de 6000 hectares sur lequel il fait édifier aux frais de la Couronne un immense palais, dont il ne verra pas l’achèvement. Et il reçoit de l’empereur Léopold un fief et un titre de prince de l’Empire. Cependant, la rupture de son épouse avec la reine Anne, les nombreuses critiques à propos de ses trahisons, ses manipulations financières, sa soif d’honneurs et sa folie des grandeurs, vont avoir raison de sa popularité. Les Anglais, las de la guerre et de l’énorme tribut de sang et d’argent qu’elle implique, réclament une paix rapide.

Sacrifié par les tories sur l’autel de la paix, Churchill est mis en accusation devant les Communes et s’exile jusqu’à la mort de la reine Anne, en 1714. La nouvelle dynastie des Hanovre le rétablit dans tous ses biens, mais son temps est passé et une attaque cérébrale finit de le briser. Sarah est là, qui continue les travaux de Blenheim et lui fait édifier un tombeau royal après sa mort, en 1722. Cette épouse, indomptable et fidèle à la fois, fut sans doute sa plus belle conquête et la seule à avoir percé les secrets de l’énigmatique "King John".
Le duc de Marlborough. John Churchill , le plus redoutable ennemi de Louis XIV de Clément Oury, Perrin, 504 p., 24 euros.

Connectez-vous pour lire la suite
Profitez gratuitement d'un nombre limité d'articles premium et d'une sélection de newsletters
Continuer
Un journalisme d’excellence, des contenus exclusifs, telle est la mission de Point de Vue. Chaque article que nous produisons est le fruit d’un travail méticuleux, d’une passion pour l’investigation et d’une volonté de vous apporter des perspectives uniques sur le monde et ses personnalités influentes. Source d’inspiration, notre magazine vous permet de rêver, de vous évader, de vous cultiver grâce à une équipe d’experts et de passionnés, soucieux de porter haut les couleurs de ce magazine qui a fêté ses 80 ans. Votre abonnement, votre confiance, nous permet de continuer cette quête d’excellence, d’envoyer nos journalistes sur le terrain, à la recherche des reportages et des exclusivités qui font la différence tout en garantissant l’indépendance et la qualité de nos écrits. En choisissant de nous rejoindre, vous entrez dans le cercle des amis de Point de Vue et nous vous en remercions. Plus que jamais nous avons à cœur de vous informer avec élégance et rigueur.