Édouard VIII a-t-il collaboré avec les nazis ?

Leur histoire et leur compromission avec le régime nazi seront le thème d’une des cinq séries antérieures à The Crown dont Netflix vient d’annoncer le tournage. Le duc et la duchesse de Windsor ont-ils trahi l’Angleterre ? Un livre revient sur cette thèse aussi ancienne que controversée.

Par Estelle Lenartowicz - 13 avril 2022, 06h01

 Wallis Simpson, Édouard VIII et Adolf Hitler, en Allemagne, en 1937.
Wallis Simpson, Édouard VIII et Adolf Hitler, en Allemagne, en 1937. © Bettmann / Contributeur / Getty Images

Ce sont des documents qui jettent une lumière crue sur le passé déjà trouble de l’ancien roi Édouard VIII, l’oncle de la reine Élisabeth II, contraint en 1936 à l’abdication après seulement dix mois sur le trône. "Les éléments sont là, sous nos yeux, mais personne au Royaume-Uni n’a trop envie de s’y attarder", affirme le biographe Andrew Lownie, auteur d’une enquête passionnante mais polémique sur les accointances nazies du duc de Windsor.

"Édouard était admiratif du régime nazi et y voyait un exemple à suivre pour l’Angleterre"

Dans Traitor King*, paru l’été dernier outre-Manche et prolongé par un documentaire diffusé le 27 mars sur Channel 4, l’historien britannique raconte l’ampleur de la compromission du fils du roi George V durant la guerre. "En présentant Wallis Simpson, son épouse américaine, comme la méchante de l’histoire, on a évité de se pencher en détail sur les agissements d’Édouard VIII, notamment sur leur caractère intentionnel", avance le biographe dans son livre, pour lequel il a dépouillé des archives déjà disponibles mais aussi bénéficié d’une nouvelle politique des archives royales, plus favorable aux chercheurs.

Le duc et la duchesse de Windsor ont rencontré Adolf Hitler lors d'une visite en Allemagne, à l'automne 1937.
Wallis Simpson, Édouard VIII et Adolf Hitler, lors de la visite de l'ancien roi britannique en Allemagne, en 1937. © Bettmann / Contributeur / Getty Images

Le monde a retenu la cordiale poignée de mains échangée avec Adolf Hitler, lors d’une visite en grande pompe en Allemagne, en 1937. À l’époque, le duc avait, pendant quinze jours, bu à la santé du Reich accompagné de hauts dignitaires nazis, visité de nombreuses usines au service du régime et même passé plusieurs heures dans la résidence privée du Führer. 

Édouard VIII, Wallis Simpson et Adolf Hitler en Allemagne, le 22 octobre 1937.
L'épouse du duc de Windsor, Wallis Simpson, serre la main d'Adolf Hitler, lors de leur rencontre, le 22 octobre 1937. © Popperfoto / Contributeur / Getty Images

"La duchesse et moi-même aimerions vous adresser nos plus sincères remerciements. Le voyage nous a fait forte impression et nous vous sommes très reconnaissants du temps que nous avons passé ensemble", s’empresse d’écrire le duc à son retour dans une lettre exhumée des archives royales.

Lettre d'Édouard VIII envoyée à Adolf Hitler après sa visite en Allemagne, en 1937.
Au lendemain de sa rencontre avec Adolf Hitler, au Berghof, l’ancien roi Édouard VIII écrit au Führer pour le remercier de son hospitalité. © Universal History Archive / Contributeur / Getty Images

"Il ne faut pas faire d’anachronisme. Avant la guerre, toute l’aristocratie anglaise s’affichait avec Hitler. Il était à la mode", tempère l’historien François Kersaudy, biographe français de Churchill**. L’épisode met en tout cas mal à l’aise le gouvernement britannique et ouvre une période de liaisons dangereuses. "Édouard était admiratif du régime nazi et y voyait un exemple à suivre pour l’Angleterre", avance quant à lui Andrew Lownie. "Ce grand narcissique était surtout très flatté d’être courtisé par des hommes puissants. C’était une revanche pour lui qui n’a jamais digéré d’avoir été exclu par les siens et mis au ban de la scène publique après son mariage avec Wallis Simpson."

Le duc et la duchesse de Windsor après leur rencontre avec Adolf Hitler le 22 octobre 1937.
Pendant une douzaine de jours, en octobre 1937, celui qui a été le souverain du Royaume-Uni pendant moins de onze mois et son épouse sont accueillis en grande pompe en Allemagne, de Berlin au Berghof, le refuge d’Adolf Hitler, dans les alpes bavaroises. © Popperfoto / Contributeur / Getty Images

Sa rancœur est d’autant plus toxique qu’elle se drape, du moins au début, de motivations pacifistes. Décrit comme un homme vaniteux, influençable, instable et imprudent, l’ancien combattant de la Grande Guerre n’hésite pas à enregistrer à l’antenne de la BBC un message dans lequel il soutient que "les Britanniques devraient faire tout ce qui est en leur pouvoir pour trouver un accord avec les Allemands". Interdits de diffusion, les propos redoublent l’alerte de l’entourage de George VI, déjà abreuvé de demandes d’un duc de Windsor désireux de revenir au Royaume-Uni retrouver un rôle de premier plan.

George VI cherche à éloigner son frère et l'envoie aux Bahamas 

Agent de liaison avec l’état-major français à Paris, le duc de Windsor sera chargé, en 1939, d’inspecter la 1re armée. Les quatre rapports qu’il rédige auraient alors été transmis à son ami, l’informateur pronazi Charles Bedaux. "C’est gênant dans la mesure où la stratégie d’attaque des troupes allemandes s’appuiera précisément sur les failles défensives identifiées par Édouard", souligne Andrew Lownie. Mais pour François Kersaudy, la théorie d’une fuite délibérée ne tient pas : "Son grade était fictif. Personne ne le prenait au sérieux et il n’avait aucun secret militaire en sa possession."

Le duc de Windsor et le général Gouraud à Paris, en 1940.
À partir de 1937, le duc de Windsor est présent en France jusqu’à l’invasion allemande. allemande. Ici, en 1940, à Paris, avec le général Gouraud. © akg-images

C’est en tout cas à la même époque que Charles Bedaux — le milliardaire franco-américain qui avait hébergé le mariage du duc dans son château de Candé, en Touraine, en juin 1937 — retrouve le duc de Windsor à Madrid, prenant du bon temps au milieu des proches du régime nazi. Les autorités britanniques craignent alors que les Allemands ne tentent de kidnapper l’ancien roi. Prié par Churchill de quitter la ville, le duc de Windsor fait la sourde oreille. "Votre Altesse Royale a occupé un rang militaire dans l’armée d’active et son refus d’obéir aux ordres de l’autorité militaire compétente créerait une situation embarrassante. J’espère qu’il ne sera pas nécessaire de donner de tels ordres et vous exhorte vivement à vous conformer immédiatement aux souhaits du gouvernement", lui écrit-il le 26 juin dans un télégramme.

Charles Bedaud à New York, le 1er novembre 1937.
Dans un même temps, Édouard VIII rédige des rapports transmis à son ami Charles Bedaux, ici en novembre 1937, un homme d’affaires convaincu de sympathies envers le IIIe Reich. © Bettmann / Contributeur / Getty Images

D’après Andrew Lownie, l’ultimatum est clair : "Le Premier ministre menace l’ancien souverain de comparution devant la cour martiale." "Il fallait à tout prix l’empêcher de nuire : sa maladresse et sa bêtise faisaient de lui une grenade dégoupillée et une marionnette susceptible d’être manipulée", précise François Kersaudy. Surveillé de près par les Britanniques et par les nazis, l’embarrassant frère du roi s’exfiltre finalement vers le Portugal, où il séjourne à Cascais, dans la luxueuse villa du banquier Ricardo Espírito Santo.

Alors que son pays subit l’assaut des bombes, Édouard VIII joue au golf, profite du soleil et de la piscine, non sans gratifier son entourage de commentaires imprudents, dûment consignés par les agents qui le suivent à la trace : "Le duc est convaincu qu’une poursuite des bombardements sur Londres obligerait bientôt les Britanniques à signer l’armistice", rapporte en août le baron Oswald von Hoyningen-Huene, ambassadeur d’Allemagne au Portugal, à Joachim von Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères du IIIe Reich, dans un document confidentiel déclassifié en 2019. 

Portrait de famille royale britannique. George VI, la reine Elizabeth, la future souveraine Elisabeth et la princesse Margaret.
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C’en est trop pour George VI, qui décide d’éloigner son frère d’Europe en le faisant nommer gouverneur des Bahamas en août 1940. Le duc accepte de plier bagage. Mais, avant de quitter Lisbonne, et d’après les documents analysés par Andrew Lownie, il convient avec son hôte, le banquier Espírito Santo, d’un code spécial à utiliser "dans l’hypothèse où il aurait à revenir au Portugal pour intervenir" au plus haut niveau. Pour l’historien, il s’agit d’une allusion à l’"opération Willi", le plan par lequel le gouvernement nazi a promis à...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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