Quelles bonnes fées pouvaient bien se pencher sur le berceau du petit Jean de La Fontaine, en ce 8 juillet 1621, jour de son baptême ? Celle de la renommée ? Assurément. La postérité ? Indubitablement. Mais la fortune, elle, devait être occupée ailleurs…
Suivi deux ans plus tard par Claude, Jean est le premier fils de la Poitevine Françoise Pidoux et de Charles de La Fontaine, conseiller du roi et maître des eaux et forêts du duché de Château-Thierry. Accompagne-t-il son père dans ses sorties forestières ? Le petit garçon s’éveille en tout cas précocement aux beautés de la campagne proche et, dans ce cadre champenois, cultive le terreau fertile de sa fibre poétique.

Est-ce ce tempérament rêveur et méditatif qui le pousse vers le noviciat ? En avril 1641, il entre à l’Oratoire de Paris qu’il quittera 18 mois plus tard. Les charmes de L’Astrée, roman très en vogue d’Honoré d’Urfé, s’avèrent plus puissants que ceux de saint Augustin… Adieu, couvent ! Bonjour, la loi !
Jean retrouve François de Maucroix, son ami d’enfance pour la vie, qui étudie aussi le droit et évoquera dans ses Mémoires La Fontaine en ces termes : "C’était l’âme la plus sincère et la plus candide que j’aie jamais connue ; jamais de déguisement, je ne sais s’il a jamais menti de sa vie ; c’était du reste un très bel esprit, capable de tout ce qu’il voulait entreprendre."

La Fontaine se lie aussi à de jeunes poètes, les Paladins de la Table ronde : Paul Pellisson, Antoine Rambouillet de La Sablière, François Cassandre, Gédéon Tallemant des Réaux… Ce dernier, dans ses Historiettes, immortalisera la distraction du futur fabuliste : "Son père […] étant à Paris pour un procès, lui dit : 'Tiens, va-t’en faire telle chose, cela presse' La Fontaine sort, et n’est pas plus tôt hors du logis qu’il oublie ce que son père lui avait dit. Il rencontre de ses camarades, qui, lui ayant demandé s’il n’avait point d’affaires : 'Non', leur dit-il, et il alla à la Comédie avec eux."
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Grâce aux Paladins, La Fontaine est reçu dans de grandes maisons, rencontre des artistes à la mode, converse avec des académiciens et bamboche allègrement. Mais, rats des champs tout autant que des villes, il retrouve régulièrement le rythme tranquille de Château-Thierry, les promenades bucoliques propices à la déclamation de vers et les amours pastorales. "Un poète est un être de frontières, et de passages de frontières. Il peut aller et venir entre plusieurs mondes, car il est toujours là et ailleurs", explique Marc Fumaroli*, à propos de cette aisance à évoluer dans des sphères très différentes.
Mauvais père et piètre mari, La Fontaine se révèle dans l’amitié
Peu pressé de devenir adulte, le jeune homme se plie cependant à la volonté paternelle et épouse en 1647 Marie Héricart, âgée de 14 ans et généreusement dotée. Cinq ans plus tard, il achète une charge de maître des eaux et forêts, à laquelle s’ajoutera celle de son père, grevée de dettes, à la mort de celui-ci. "Il sera toujours passager clandestin de sa propre vie", écrit joliment Erik Orsenna**. "Pas très sûr de lui-même, incertain de sa réalité, doutant de vivre la vie prévue pour lui. Flottant."

Épicurien, La Fontaine délaisse rapidement sa jeune épouse et multiplie les aventures. Un fils naît pourtant, en 1653, de cette union arrangée, Charles, dont La Fontaine abandonne vite l’éducation à son parrain, le bon François de Maucroix. "Un jour même, relate Hippolyte Taine, il salua son fils sans le reconnaître ; quelqu’un s’en étonna ; il répondit '[…] qu’il croyait en effet avoir vu ce jeune homme quelque part.' "***
Mauvais père et piètre mari, La Fontaine se révèle dans l’amitié. En témoigne son indéfectible loyauté à Nicolas Fouquet. En 1658, Paul Pelisson présente au flamboyant surintendant des finances son ami qui a publié quatre ans plus tôt une première pièce, L’Eunuque, adaptée de Térence. La Fontaine offre le manuscrit de son Adonis au ministre, celui-ci lui commande en retour un autre poème à la gloire du domaine somptueux qu’il bâtit à Vaux-le-Vicomte. Ce sera Le Songe de Vaux.
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L’arrestation de Fouquet, le 5 septembre 1661, peu après une fête éblouissante, dont Louis XIV prit ombrage, met fin à la pension qu’il versait à La Fontaine. Celui-ci prend sa défense et implore la clémence royale dans L’Élégie aux Nymphes de Vaux, puis l’Ode au Roi. Cette fidélité sans faille lui vaudra la haine de Colbert, la défiance de Louis XIV et ruinera tout espoir de carrière versaillaise.

Fouquet disparu, la nouvelle châtelaine de Château-Thierry, Marie-Anne Mancini, duchesse de Bouillon et nièce de Mazarin, prend sous son aile le poète et contribue à révéler son talent. Grâce à son soutien, il devient gentilhomme servant chez la duchesse douairière d’Orléans, au palais du Luxembourg.
Des Fables à la portée universelle
La publication, en 1665, des Contes et nouvelles en vers, délicieusement licencieux, rend célèbre à Paris leur auteur qu’ignore Versailles.Trois ans plus tard, le premier recueil des Fables rencontre un accueil triomphal. Dans la dédicace au Dauphin, La Fontaine énonce la portée pédagogique de l’ouvrage : "Je me sers d’animaux pour instruire les hommes."

Mais l’humour, la richesse lexicale, le cisèlement de la syntaxe et la maîtrise stylistique éloignent nettement cette réjouissante évocation de la condition humaine sous couvert animalier des modèles antiques gréco-latins moralisateurs dont elle s’inspire. "La Fontaine est notre Homère, assène Taine, nous n’en avons point d’autre. Et ses Fables sont notre épopée."
L’immense et pérenne succès en librairie des Fables réalise la phrase prophétique écrite par La Fontaine dans la préface des Contes : "Il n’appartient qu’aux ouvrages vraiment solides, et d’une souveraine beauté, d’être bien reçus de tous les esprits et dans tous les siècles."
La gloire cependant n’enfante pas la fortune à une époque où n’existent pas les droits d’auteur. En 1671, ne pouvant les racheter, La Fontaine abandonne ses charges...
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