À peine la porte s’est-elle entrouverte qu’un parfum de peinture à l’huile s’impose, inattendu dans le cadre de cet immeuble parisien aux airs de château. André et Chantal Brasilier sont là aussi, tout sourires dans l’entrée qui annonce la couleur de leur existence avec sa grande toile en cours, nuée de nymphes dansant nues dans une eau claire. Tous les jours que Dieu fait, le peintre est à son atelier, et sa muse vaque à ses occupations côté salon. Cela fait 65 ans que ça dure, sans jamais dissocier la vie, l’amour et l’art. "Je pense tout le temps peinture, jour et nuit. Je ne sais pas si je dors ou si je rêve", reconnaît l’artiste de 93 ans, qui fait jusqu’au 9 avril 2023 l’objet d’une rétrospective au Seoul Arts Centrer, coorganisée par son galeriste Opera Gallery.

Dans cette extrême Asie sensible à son style figuratif caractérisé par la couleur et les réserves de blancs, on découvre cent trente-cinq de ses toiles, figurant des chevaux et des musiciens, des paysages et surtout Chantal. "J’admire tout chez elle, le moindre de ses gestes est une proposition plastique. Elle ne pose jamais, elle vit tranquillement et ne se rend pas compte qu’elle entraîne chez moi le besoin de fixer une attitude", reconnaît André Brasilier, intarissable sur sa muse rencontrée en mai 1958, et épousée quatre mois plus tard.

Lui, diplômé des Beaux-arts de Paris et lauréat du prix de Rome en 1953, vient de passer trois ans à la Villa Médicis. De retour dans la Ville éternelle où il visite son frère architecte, à son tour pensionnaire, il croise celle qui incarne son rêve féminin. Il s’agit de Chantal d’Hauterives, sœur du peintre Arnaud d’Hauterives, autre pensionnaire qui sera, jusqu’à sa disparition il y a cinq ans, secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts. "Heureusement, sa peinture m’a plu", glisse malicieuse l’intéressée. Dans la foulée, elle abandonne son métier de chimiste et de nez chez Helena Rubinstein pour se consacrer à sa famille.

1980 marque l’installation au cœur du quartier des antiquaires. Aussitôt visité, cet appartement de la Rive gauche emporte l’adhésion avec sa grande hauteur sous plafond et la possibilité d’y aménager un atelier dans l’un des salons de réception qui s’enchaînent avec prestige. Toute la journée, le soleil tourne le long de la façade en donnant sur le petit jardin. Il est midi lorsque s’illumine le salon rempli de jolies choses acquises au fil de temps auprès des marchands du quartier.

Dans un curieux face-à-face, le buste en pierre de la reine Marie-Antoinette patiné par le temps toise une petite Nana de Niki de Saint Phalle en polyester peint. "Le premier nous a touchés. Il a, paraît-il, appartenu à la comédienne Orane Demazis et, bien avant ça, il avait perdu la tête. La seconde s’est imposée à nous par sa joie de vivre", raconte Chantal Brasilier.

Çà et là, on découvre d’autres rencontres artistiques. Celle d’une Grande tête mince, bronze d’Alberto Giacometti, et d’un portrait dessiné par André Derain. Ce profil féminin en Plexiglas peint, d’Alekos Fassianos, et une grande toile du maître de maison dans les tons de bleu. Elle représente la maison de Loupeigne dans l’Aisne, refuge proche de Paris où le couple aime à séjourner, et travailler comme il se doit.

Couche-tard et lève-tard, André Brasilier n’arrête jamais. "Je remercie le ciel de pouvoir me consacrer à la peinture en me levant, et je fonce à l’atelier." L’ambiance y est lumineuse, intense côté établi où les strates de peinture à l’huile s’élèvent en monticules, plus légère sur la toile où le pinceau passe et repasse pour figurer la surface de la mer ou le corps de Chantal. "Je démarre assez rapidement et je laisse dormir, j’intensifie", confie le peintre qui agrafe lui-même ses toiles sur châssis.

Au-dessus de l’établi, des citations d’artistes griffonnées sur des morceaux de papier le guident assurément. Pour Auguste Rodin: "La simplicité fixe l’essentiel." Selon Georges Rouault : "L’œil capte la vision fugitive, l’esprit ordonne, le cœur chérit." Et encore Odilon Redon : "Je travaille dans la logique du visible au service de l’invisible." C’est vrai, il y a tout ça dans l’œuvre d’André Brasilier, qui n’aime pas quand vient l’automne et ses jours de plus en plus courts. "Je peins ce que j’aime, c’est-à-dire le bonheur", ajoute-t-il en remettant le vieux cardigan vert qui lui sert de protection. Chantal n’est jamais loin, muse, modèle et épouse au sourire doux.

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