De son adolescence à Gonesse, entre les tours et les parkings, il se souvient surtout des baffes de son beau-père, sévère mais juste, et des silences de sa mère, aimante et débordée. Des potes aussi – ses frères, comme il les appelle –, des embrouilles enfin, et des courses-poursuites avec la police, l’une de ses spécialités.
Une jeunesse de petite frappe loin des beaux quartiers, des podiums et des défilés, de l’autre côté du périphérique. Là où "le respect se gagne par la peur", comme il le dit lui-même.
Un casse-cou à la cour du Kaiser
Sébastien Jondeau a tenu la main de Karl Lagerfeld aux derniers instants de sa vie. Au propre comme au figuré. Fidèle parmi les fidèles depuis le jour où il a osé l’impensable : demander au Kaiser de l’embaucher. Il a 24 ans et ne connaît rien à la mode.

Chauffeur livreur, un brin nerveux, il n’a croisé Karl qu’à de rares occasions, dans la cour de son hôtel particulier du VIIe arrondissement. Sébastien décharge des meubles, transporte des œuvres d’art. La politesse de Monsieur Lagerfeld l’impressionne… et les pourboires qu’il laisse sont mirobolants. Surtout, le petit gars du Val-d’Oise entraperçoit un monde fascinant, où se croisent artistes et mannequins, têtes couronnées et stars de cinéma. Il comprend qu’il tient sa chance. Et décide de tenter le coup.
Juillet 1999. Sébastien fait partie du staff de Karl Lagerfeld à Biarritz. C’est son premier été à la villa Elhorria, propriété du boss. Le jeune homme se rêvait homme de main, le voici animateur de colonies de vacances, chargé d’occuper les enfants des invités.
Qu’importe, il aime le sport. Il organise des sessions de surf, parvient à privatiser un circuit de karting, obtient les autorisations pour que ses protégés puissent faire du cheval sur la plage. Son sens de la débrouille le rend indispensable, son entregent impressionne. Sa gueule d’ange fera le reste. "Dans cette parenthèse de vie de riches, j’offre aux invités une forme de simplicité", dit-il sobrement. Le voici adoubé.

Sa formidable ascension ne fait que commencer. De Paris à New York, de Shanghai à Ramatuelle, "Seb" va faire sa place, ne lâchant jamais d’une semelle son mentor.
Il côtoie Pharrell Williams, salue Anna Wintour, dîne à la table de Caroline de Hanovre. Il observe, il apprend. "La première fois que j’ai visité le château de Versailles, c’est avec Karl. On a eu la chance d’avoir le lieu entièrement pour nous." Mais Sébastien Jondeau n’est pas le seul à graviter autour du soleil.
Une bataille de favoris autour du couturier
Les courtisans sont nombreux. Brad Kroenig, Jake Davies et bientôt Baptiste Giabiconi : ces garçons dont Karl s’entiche régulièrement. Après neuf ans de rêve, Baptiste devient vite le grain de sable dans la machine parfaitement huilée. "J’ai un sentiment d’incompréhension et de dépossession", avoue-t-il, témoin impuissant de la faveur grandissante du petit dernier." Il a 20 ans, ne fait rien de sa vie, et il est pris dans un engrenage qui très vite va le dépasser."
Aujourd’hui, Baptiste Giabiconi et Sébastien Jondeau se disputent le titre de fils préféré. On les dit tous deux couchés sur le testament du couturier. La succession serait au point mort, l’expert-comptable est introuvable.
En attendant, les règlements de comptes se font, à mots couverts, sur les plateaux de télévision et par livres interposés. L’an dernier, Giabiconi signait Karl et moi aux éditions Robert Laffont. Fair enough. "Il faut que tu comprennes que Jake, Brad, Baptiste, c’est différent de toi. Toi et moi, on travaille ensemble", aurait promis Karl à Sébastien Jondeau.

Entre les lignes se dessine aussi le portrait de ce créateur exigeant et génial, travailleur acharné qui, dans son lit d’hôpital, à quatre jours de la fin, continue de donner ses directives. Parce que la Fashion Week de Milan approche. Parce qu’il y a encore tant à faire. Et qui chuchote à Sébastien, s’excusant presque de tout quitter : "Tu leur diras, je n’ai pas fait exprès."
Ça va, cher Karl ?, Sébastien Jondeau avec Virginie Mouzat, éditions Flammarion, 19,90 euros.
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