Dans votre nouvel album, vous revenez au thème de l’exil avec le titre Le Bleu de la mer Noire. Vous avez 7 ans quand votre famille fuit le régime communiste en Bulgarie. Ses souvenirs sont-ils davantage présents aujourd’hui ?
Cette histoire m’a toujours habitée. Le public connaît mes chansons, l’une des plus emblématiques reste La Maritza (1968). Ce sont des œuvres d’une grande résilience pour moi. Vous savez, ma seule nostalgie c’est celle de l’enfance, c’est pour cela que je fais ce métier. J’ai choisi d’être artiste pour demeurer dans cet état de grâce.
Quand je suis montée pour la première fois sur scène, en première partie d’un récital de Gilbert Bécaud, j’avais juste 17 ans. Le contact direct avec le public a donc été thérapeutique pour moi. Je n’ai jamais pu m’en passer. C’est pour cela que je fête mes 60 ans de carrière sur scène: je célèbre aussi un rapport privilégié avec les gens.
Vous évoquez votre carrière comme un "tourbillon"***, ce qui n’a pas empêché un réel ancrage dans une vie de famille…
Quand je me retourne sur mon parcours, je me demande comment j’en suis ressortie vivante (sourire) et saine d’esprit. Si ce n’est cette faculté que j’ai toujours eue à garder de la distance avec la célébrité et cette vie de paillettes. J’ai été guidée par l’exemple de mes parents. J’ai gardé les pieds sur terre et j’ai pu avoir une vie de femme et de maman tout en étant chanteuse.
J’ai tout fait pour préserver ma famille, en l’occurrence David. Il était encore jeune quand je suis partie aux États-Unis. J’ai toujours dit: "Idole n’est pas un métier." C’est surréaliste de se considérer comme telle. La célébrité gâte surtout les rapports hommes-femmes. C’est un bonheur empoisonné si on ne sait pas naviguer à l’intérieur.
En 1966, en pleine gloire, vous désirez un enfant, contre l’avis de tous, à commencer par votre manager. Vous n’avez jamais craint de faire des choix personnels qui ralentiraient votre carrière ?
Je n’ai jamais pensé en termes de carrière, ni en termes d’intérêt. Sûrement parce que je suis passée de l’ombre à la lumière de manière fulgurante. Imaginez : je venais de Bulgarie, nous vivions réfugiés à Paris, la journée mes parents travaillaient, j’étais seule. J’avais peu d’amis, je ne parlais pas le français. J’étais isolée. Quand la notoriété m’est tombée dessus, ce fut comme une déferlante.
Le 9 décembre 2017, lors des obsèques de Johnny Hallyday. Sylvie Vartan et Nathalie baye sont entourées d'Estelle Lefebure, Emma Smet, Cameron Smet, Alexandra Pastor, Darina Scotti-Vartan, Ilona Smet et Tony Scotti. © ABACAPRESS.COM
D’autant plus que je vivais ce succès avec Johnny. Nous étions jeunes, fous amoureux, nous avions tout à apprendre de la vie. Nous étions comme deux mômes exaltés, excités, mais éminemment soudés. Dans ce destin unique qui était le nôtre, je n’étais pas seule au monde et lui non plus.
Le "sentiment d’isolement" revient beaucoup dans vos propos et chansons. L’idée du mouvement, du nomadisme aussi. Aujourd’hui, vous sentez-vous française, bulgare ou américaine ?
Je me sens du monde. Malgré tout, mon pays est la France. Car elle m’a tout donné. Mais mon sang, mon affect et ma mélancolie sont bulgares.
Comment peut-on définir "l’âme slave" ?
Comme une insoutenable légèreté de l’être. C’est, d’un côté, une grande mélancolie et de l’autre, une inépuisable appétence pour la vie. Une force joyeuse et un certain fatalisme.
Après les yé-yés, la passion Johnny, vous rencontrez votre mari, Tony Scotti. À l’aube de vos 40 ans. Et là, vous ressentez sérénité et apaisement…
J’ai trouvé un homme qui était mon amant, mon ange gardien et mon père. Un homme beau, digne. À cette époque, j’étais persuadée que je finirais ma vie seule.
David avait 14 ans à l’époque de votre rencontre. Il était fondamental qu’il accepte Tony comme son beau-père ?
C’était difficile pour lui car il n’avait jamais connu un homme en permanence. Tony était là au quotidien. Ce n’étaient pas des va-et-vient, des interruptions de relations. David avait besoin de cette stabilité et il l’a trouvée.
En 1984, Sylvie Vartan fête ses 20 ans de carrière en compagnie de son fils et de son compagnon, Tony Scotti. © PATERSON / BESTIMAGE
D’autant plus que Tony aime être père, il a beaucoup de psychologie et il donne confiance. On peut réellement compter sur lui. Ce n’est pas quelqu’un qui se défile, qui a une posture.
Vous semblez avoir développé une sensibilité particulière à l’égard des autres, une capacité à sonder les cœurs. D’où vient-elle ?
J’ai appris cela très jeune, en Bulgarie, quand je voyais les milices patrouiller dans les rues. Je connaissais le danger, j’ai appris à surveiller les réactions de ma mère. J’étais collée à elle et elle ne pouvait pas me tromper. Cette époque a forgé chez moi une intuition forte et le sens des gens.
Ce drame originel, qui aurait pu vous couper du monde, vous a donc au contraire ouverte vers l’extérieur ?
Je crois avoir développé cela. Je ressens toutes les douleurs. La souffrance humaine, celle des enfants en priorité, m’atteint beaucoup. Physiquement, intérieurement. Lorsqu’il m’arrive de voir des vidéos de maltraitance animale, aussi, cela me fait mal dans ma chair. C’est indélébile, cela me hante. J’ai une hypersensibilité accrue pour le sort d’autrui. C’est un don et un fardeau.
Votre première petite-fille, Ilona, naît en 1995. Vous avez alors une révélation : vous souhaitez un autre enfant. Vous accueillez Darina en 1997, comme une réparation. Qu’avez-vous ressenti à l’époque ?
Une forme de plénitude. J’ai toujours voulu avoir beaucoup d’enfants et la vie en a décidé autrement. J’étais maman de David, il était grand et j’avais mesuré la responsabilité d’élever un enfant, l’amour, la confiance, la disponibilité nécessaire à son épanouissement. J’avais encore besoin de transmettre.
Sylvie Vartan entourée en 2018 de sa fille, Darina Scotti-Vartan, et ses petites-filles, Emma et Ilona Smet, les filles de David Hallyday. © Bertrand Rindoff Petroff/Getty Images
Darina est arrivée au bon moment dans ma vie. Et la réciproque est vraie aussi. Elle avait 7 mois.
Que Darina soit née sous le même ciel que vous, c’était important ?
C’était une évidence, une continuité. Une tendresse particulière.
Quel a été votre secret pour que vos enfants et petits-enfants parviennent à se construire à l’ombre de deux monstres sacrés ?
Ils ont une nature timide, mais ils ont su trouver leur chemin propre, être eux-mêmes et pas des copies de leurs parents ou grands-parents. Et puis, à la maison, je désacralise beaucoup. J’ai une anecdote à ce sujet : quand il était beaucoup plus jeune, mon petit-fils, Cameron, a eu une phrase extraordinaire. J’étais en train de me préparer pour partir en tournée, il m’a regardé et m’a dit: "Mimi, tu vas faire Sylvie Vartan maintenant ?" (rires). Les enfants sont tellement justes.
En tout cas, la fibre artistique est une affaire de famille chez vous…
Ilona et Emma ont beaucoup de talent à l’écran. Darina est très branchée communication. D’une manière ou d’une autre, ils tournent autour des arts… Après, le but n’est pas de rechercher la célébrité coûte que coûte, d’ailleurs, c’est un concept un peu dépassé. Jusque dans les années 1990, il y avait une forme de spontanéité, d’insouciance. Les générations d’aujourd’hui sont plus détachées, moins naïves peut-être.
Johnny nous a quittés en 2017. Comment arrive-t-on à vivre la perte d’un homme comme lui quand cette disparition devient un événement national ?
En...
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