Comment vous est venue l’idée d’écrire Entre nous ?
Il s’agissait de partager autant que je le pouvais tout ce que j’ai accumulé au cours des vingt dernières années en tant qu’activiste pour la santé mentale. Beaucoup ignorent à quel point c’est notre dénominateur commun universel. Tous les êtres humains sont concernés par le bien-être mental. Actuellement, les personnes souffrent, se sentent dépassées, fatiguées. Elles manquent d’opportunités pour aller chercher qui elles sont et l’exprimer dans notre société. C’est une crise de santé mentale partout, à différents degrés.
Aviez-vous envie d’écrire un livre depuis longtemps ?
J’avais quelques écrits, des histoires dont je me souvenais et j’ai tout rassemblé. Durant ma carrière, j’ai fait des conférences, travaillé à la radio et à la télévision canadiennes. Ensuite, mon parcours co-politique (elle est séparée du Premier ministre canadien Justin Trudeau, ndr) m’a permis de goûter à des expériences de vie uniques, confirmant que je voulais continuer sur ce chemin. L’adulte a cette responsabilité de prendre en charge sa personnalité, de la comprendre. Sommes-nous conscients de comment nous agissons et réagissons face à la vie ? Imaginez le monde que nous aurions si les leaders entendaient mieux leurs émotions, étaient capables de se réguler plus sagement. Nous aurions un autre type de planète. La santé mentale n’est pas une cause mais une réalité universelle.
Pourquoi vous intéressez-vous à la santé mentale ?
Les troubles de santé mentale frappent n’importe où et n’importe quand. J’ai moi-même souffert d’un trouble de l’alimentation dans ma jeunesse. Personne n’est invincible à cela. Notre attachement à l’enfance et notre sentiment d’authenticité sont les deux besoins les plus viscéraux des êtres humains. L'authenticité est notre capacité à exprimer qui nous sommes sans devoir changer ou adapter notre comportement afin d’être aimé. Pourtant, nous le faisons tous. Nous vivons dans un système qui nous incite à être tout sauf nous-mêmes, en le faisant à travers des messages si sournois que nous les intégrons. Sommes-nous venus sur terre pour être plus heureux ou plus conscients ? Pour moi, la santé mentale, c’est la conscience.
Pourquoi avoir appelé votre livre Entre nous ?
La couverture m’est apparue en rêve. Je voulais qu’on se tienne ensemble. Avec ce titre, il s’agit de ce que nous partageons entre nous mais aussi de ce à quoi nous devons faire face entre nous. Face aux crises qui nous guettent. Nous ne pouvons pas le faire individuellement. Entre nous évoque aussi le rapprochement, les connexions, l’amour, l’amitié. La sécurité, le bonheur humain, la conscientisation. Pour être "entre nous", nous devons aller à l’intérieur. Nous sommes faits pour nous connaître à travers les autres.
Comment avez-vous choisi vos différents interlocuteurs ? Quels enseignements tirez-vous de ces échanges ?
Cela m’a pris beaucoup de temps car j’ai essayé d’avoir des gens de tous horizons, de toutes cultures. Je voulais des experts canadiens, américains… Je cite aussi la psychothérapeute belge Esther Perel. Si ces entretiens m’ont confirmé un certain nombre de choses que je connaissais déjà, j’ai aussi énormément appris sur le comportement humain. Celui-ci me fascine depuis l’université où j’ai suivi des cours de psychologie. Cela m’a permis de prendre du recul sur ce qui peut sembler envahissant, apeurant dans une société, afin de comprendre les mouvements de masse, l’insécurité des gens. Nous nous sentons menacés par la différence de l’autre, d’où les tensions entre êtres humains. Cela se produit car nous n’avons pas appris à bâtir une sécurité émotionnelle.
Dans ce livre très personnel, vous revenez sur les troubles alimentaires dont vous avez souffert adolescente. Avez-vous senti le regard des gens changer quand vous en avez parlé publiquement pour la première fois ?
Quand je me suis dit que je devais en parler, j’ai eu peur. À l’époque, une amie avec qui j’avais étudié au secondaire m’avait contactée pour une fondation qu’elle avait créée. Au fond de mon coeur, je savais que c’était la bonne chose à faire et c’est la meilleure décision que j’ai prise. Non seulement pour ma propre guérison et compréhension de moi-même mais aussi pour donner de la place aux autres. Au fil des ans, de très nombreuses personnes sont venues me parler, que ce soit lors d’une soirée ou au supermarché. Ces commentaires m’ont prouvé que c’était bien cela que je devais faire. J’ai fait le bon choix en en parlant il y a vingt ans. Je demeure convaincue que nous nous sauverons nous-mêmes si nous continuons à nous dire notre vérité.

Pensez-vous que les réseaux sociaux, qui renvoient très souvent une image parfaite de soi, peuvent inciter les gens à refouler encore plus leurs failles ?
Bien sûr ! Ils ne sentent pas confirmés dans l’image qu’ils voient d’eux-mêmes. C’est inacceptable. Je refuse de mettre des filtres sur mes photos ou de changer quoi que ce soit. Je veux vieillir en m’acceptant telle que je suis. Sans que la société me dise à quoi je devrais ressembler. Aujourd’hui, il y a comme une uniformisation du visage. Les gens sont de plus en plus pareils. La coquetterie, la beauté… Nous sommes arrivés à un point où cela nous rend malade et on ne se l’avoue pas. Toutefois, il y a tellement de personnes qui souffrent que nous commençons à percevoir des ouvertures. Comme le dit Leonard Cohen dans son morceau Anthem : "There is a crack, a crack in everything. That's how the light gets in ("Il y a une fissure, une fissure dans tout. C'est par là que la lumière entre", ndr)."
Quel message souhaitez-vous véhiculer à travers votre livre ?
Les êtres humains sont bons de nature. Il faut se faire confiance. Je suis amoureuse du genre humain. Je souhaite que les gens aiment la vie comme je l’aime. Le travail de conscientisation de nos émotions ne m’appartient pas mais je désire le partager. Je veux que le plus de personnes y aient accès parce qu’elles le méritent.
Lire aussi >> Têtes couronnées en thérapie : la fin d’un tabou
Quels sont vos conseils pour aller mieux ?
Ils sont nombreux ! Bouger, s'asseoir en silence même si ce n’est que cinq minutes le matin. Se rassurer dès le début du réveil. Essayer de refaire cela dans la journée et avant de s’endormir. Il y a aussi l’exercice, le jardinage, la cuisine, la musique… Je prends la vie au sérieux sans me prendre au sérieux. C’est également une forme de belle santé mentale. D’avoir un certain détachement en se disant que, même si la vie vient avec son lot de douleurs, rien ne peut nous arrêter si on s’entraide.
Ces dernières années, la santé mentale est devenue aussi le cheval de bataille des têtes couronnées. Certaines n’hésitent pas à confier leurs problèmes, qu’il s’agisse de Victoria de Suède, atteinte d’anorexie dans sa jeunesse, ou d’Amalia des Pays-Bas qui a révélé en 2021 avoir consulté un psychanalyste. Quel regard portez-vous sur ces royaux qui oeuvrent en faveur de la santé mentale ?
Je me souviens d’en avoir parlé avec Kate il y a plusieurs années. Elle m’avait dit que j’avais été courageuse de partager mon histoire sur les désordres alimentaires dont j’ai souffert. Surprise, j’avais répondu que c’était la bonne chose à faire. Cela me rassure de voir qu’aujourd’hui, les gens ont moins peur d’en parler. Surtout quand ce sont des personnes avec une plateforme et qu’on écoute. C’est une responsabilité importante et cela peut aider les autres à s’exprimer. De ce point de vue là, je trouve que c’est exceptionnel. Montrer que ce n’est pas grave. Vous pouvez avoir toute la richesse du monde et aller très mal. Il ne faut pas se juger dans notre souffrance.

La duchesse d’Édimbourg a abordé publiquement le sujet de la ménopause. Changer le regard sur cela, c’est essentiel aussi…
C’est excessivement important ! Nous vivons dans une société où nous essayons de renier nos cycles naturels. La périménopause et la ménopause touchent des milliards de femmes à travers la planète. Pourtant, on en parle peu. On connaît peu les symptômes qui peuvent arriver dès la trentaine. On appelle cela le syndrome prémenstruel comme si c’était une pathologie mais ça ne l’est pas. La périménopause et la ménopause non plus. En réalité, il s’agit d’un éveil accru de notre comportement biologique, physiologique. Pourtant, ce n’est pas comme cela qu’on nous l’explique. Désormais, des médecins et des experts nous en parlent correctement. Il faut continuer ce travail. Comment sauver la condition humaine si on ne la comprend pas ? C’est ça la santé mentale : un questionnement basique qui, pourtant, ne nous a pas été enseigné.
Pensez-vous que leur statut d’altesse royale peut contribuer à faire bouger les choses ?
Pour moi, le plus important est de donner la voix aux autres. Ne pas compter uniquement sur ceux qui en ont une. La partager. Échanger nos réseaux avec les gens, les écouter. Cette capacité d’écoute, de revenir à l’intérieur de soi sans se sentir apeuré ou intimidé par ce qu’on y trouve, d’être capable de l’exprimer, c’est une libération humaine. Nous ne cherchons pas à être le bouddha, nous cherchons à nous connaître.

*Entre nous. Mieux se connaître, mieux s’aimer, de Sophie Grégoire Trudeau, KO Éditions, 23,90 euros.