Faut-il voir un signe du destin dans ce rôle de voisin de palier que lui confie Roman Polanski, au tout début de sa carrière, dans Le locataire ? Un film qui, comme Monsieur Hire pour lequel Michel Blanc fut acclamé, faisait d’un petit immeuble le théâtre de toutes les noirceurs de l’âme humaine. Mais si telle devait être la véritable destinée artistique de Michel Blanc, sa trajectoire aura tout de même connu une parenthèse nettement plus comique, amorcée avec sa participation à la troupe du Splendid.
Auprès de Gérard Jugnot, Christian Clavier ou encore Thierry Lhermitte, dont il fait la connaissance au lycée dans les années 1970, le natif de Courbevoie va participer à cet extraordinaire renouvellement de la veine de l’humour en France. Avec ses amis du café-théâtre, il contribue à ringardiser le comique troupier qui, des aventures de la Septième Compagnie à celles des Charlots, caracolait en tête des entrées au cinéma, pour lui préférer un humour plus cru, rappelant parfois celui du cinéma italien et empreint d’une fibre sociale pas toujours tendre. Cet irrésistible cynisme contribue en 1978 au succès des Bronzés, adaptation sur grand écran de leur pièce Amours, coquillages et crustacés, suivi deux ans plus tard des Bronzés font du ski, lui aussi truffé de scènes cultes.
Monsieur Dusse
Michel Blanc s’y forge un premier personnage qui deviendra pour longtemps sa marque de fabrique. Il est ce frêle loser, antihéros absolu, en quête de conquêtes féminines. Dans sa bouche, son fameux "je sens que je vais conclure" et d’autres répliques bien senties sifflent comme des balles, et quiconque y songe encore aujourd’hui entend résonner la voix caractéristique de son interprète. Suivront d’autres succès, dont Viens chez moi, j’habite chez une copine ou Ma femme s’appelle reviens, mis en image par le complice Patrice Leconte.
Sur un malentendu
Mais déjà Michel Blanc rêve d’étoffer son jeu et son implication dans les films. À ce titre, sa carrière de réalisateur illustre fidèlement la variété de ses aspirations. Dans Marche à l’ombre, il trouve en Gérard Lanvin un partenaire de jeu idéal, antithèse de Michel Blanc qui se distingue par sa présence physique imposante. Les deux signent des scènes inoubliables comme lorsque Michel Blanc, sous substances, confie à son acolyte sa terreur des renards… Dix ans plus tard, le ton a changé. Il signe Grosse fatigue qui fait du cinéaste l’un des pionniers de l’autofiction et dans lequel on devine une lassitude face à la célébrité et au personnage qu’il semble condamné à rester aux yeux du public. Suivront d’autres pépites, dont le dyptique Embrassez qui vous voudrez (2002) et Voyez comme on danse (2018), deux comédies de mœurs sans pitié emmenées par Jacques Dutronc, Charlotte Rampling, Carole Bouquet et Karin Viard.
Smoking exigé
À l’écran, Michel Blanc varie aussi les plaisirs. Après les succès auprès du Splendid, dont il quitte la troupe en 1984, la décennie qui s’écoule est riche en rôles variés. En 1986, il fait d’abord vaciller le monument Depardieu dans Tenue de Soirée, de Bertrand Blier. Assurément, le cinéaste et Michel Blanc ont en commun cet art de la réplique cinglante. Avec Patrice Leconte qu’il retrouve en 1989 pour Monsieur Hire, c’est l’œuvre de Georges Simenon que les deux hommes partagent. Ce rôle marque une rupture bienvenue pour Michel Blanc. Il devient ce voisin inquiétant épiant sa voisine au son du quatuor pour piano et cordes n°1 de Brahms. Un choix qui, au passage, ne pouvait que combler cet amoureux du compositeur allemand, dont il collectionne les versions de sa Deuxième Symphonie.
L’autre passion
Car la musique a toujours occupé une place à part dans le cœur de Michel Blanc. De son enfance, il a ce souvenir : "Je viens d’un milieu modeste où l’on éteignait la télévision lorsque l’on y donnait de la “grande musique", et pourtant la musique classique et le piano, dont je joue, font partie des choses qui me rendent le plus heureux dans la vie." Et de fait, Michel Blanc, même au milieu d’une réception de l’académie des César, n’aimait rien moins qu’échanger sur ses romantiques favoris dont il adorait l’œuvre pour piano, ou sur les partitions plus récentes du compositeur Philippe Schoeller (frère du réalisateur Pierre Schoeller). Nous sommes en 2012, et Michel Blanc allait recevoir quelques jours plus tard le César du meilleur second rôle, pour sa participation au phénoménal L’exercice de l’État. À l’écran, il y est un directeur de cabinet ministériel, grand esthète qui, au milieu de la nuit, savoure un grand cru en réécoutant l’enregistrement d’un discours d’André Malraux.
Esthète discret
Son évolution artistique s’est doublée d’une mue physique. Depuis longtemps maintenant, l’homme n’est plus le frêle Jean-Claude Dusse mais un interprète solide, dont il se dégage une nette autorité. Cela n’échappe pas à Peter Greenaway (Prospero’s Book en 1991), Roberto Benigni et Robert Altman (Le Monstre et Prêt-à-porter en 1994) ou Lasse Hallström (Les recettes du bonheur en 2014), qui confèrent une tournure internationale à sa carrière. Michel Blanc n’en néglige pas pour autant les plaisirs de la comédie, à laquelle il revient régulièrement. Pour l’un de ses derniers rôles, dans Les petites victoires de Mélanie Auffret, il était un homme qui apprend à lire sur le tard avec l’aide d’une institutrice. De son interprète, la réalisatrice disait : "C’est un acteur qui sait tout jouer et peut tout s’approprier, il est juste et authentique." Voilà peut-être le secret de sa carrière, foisonnante et traversée de contrastes. Comme dans les fresques musicales des symphonies de Brahms qu’il chérissait.
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