Il n’en revient pas, Benoît Duteurtre. En ce mardi 13 août à la météo maussade, l’exposition Raoul Dufy et Le Havre fait le plein de visiteurs absorbés dans la contemplation des tableaux du maître. Face à l’horizon plombé que l’on devine à travers les larges baies vitrées du musée d’art moderne André-Malraux, les Sortie de régates au Havre et autres Plage de Sainte-Adresse offrent leur contrepoint coloré, toiles vibrantes de vagues et drapeaux battus par le vent. "Quand j’étais adolescent, se souvient l’écrivain, il n’y avait personne dans ces salles ! Il faut dire que les musées étaient moins à la mode qu’aujourd’hui. Les gardiens, souvent d’anciens soldats rescapés de la guerre, promenaient leurs silhouettes éclopées devant les chefs-d’œuvre de Monet et Boudin. Bien qu’un peu inquiétants, ils ne m’empêchaient pas de passer des heures à admirer les toiles de Dufy."

Dépositaire d’un fonds exceptionnel de soixante-dix tableaux légués par la veuve de l’artiste en 1963, le musée a rassemblé pour cette exposition bien d’autres œuvres disséminées à travers le monde. Depuis les premières marquées par l’impressionnisme et le fauvisme jusqu’à celles aux lignes zigzagantes typiques de la propre manière du peintre, toutes ont en commun de restituer des paysages emblématiques de ce littoral normand, du boulevard Maritime à Notre-Dame-des-Flots.

"Le Havre est une ville de peintres, souligne encore Benoît Duteurtre. Braque, Othon Friesz se sont formés à l’école municipale des beaux-arts, tout comme Dufy et de Saint-Delis. Avant eux, Monet, bien sûr, figure incontournable, y vécut à partir de 5 ans. Une de ses toiles conservées ici, représentant Les Falaises de Varengeville, est un pur chef d’œuvre. Autour de 1900, la ville en pleine expansion grâce au commerce maritime a abrité une vie artistique foisonnante, notamment en peinture, mais aussi en littérature et en musique."

Au milieu des paysages marins, un petit violon rouge, mais aussi un piano ouvert sur une partition de Debussy, peints par Dufy plus tard dans sa carrière, font figure d’interlude. "On a peine à l’imaginer aujourd’hui, mais les cafés-concerts et les lieux où l’on chantait étaient extrêmement nombreux au Havre", souligne l’écrivain spécialiste de musiques légères – il anime depuis vingt ans sur France Musique une émission consacrée à ce répertoire.
"À l’adolescence, je me passionnais plutôt pour la musique contemporaine, mais Debussy était déjà l’un de mes compositeurs favoris. Cette toile de Dufy représentait pour moi la quintessence de tout ce que j’aimais dans l’art." Avant de conclure, un brin nostalgique : "Mais ce qu’évoque le mieux pour moi la peinture de Dufy, c’est cette joie de vivre, cette légèreté colorée pleine de charme que l’on retrouve chez Offenbach ou Sacha Guitry. Une forme heureuse de l’art moderne, souvent dénigrée, que je trouve pourtant essentielle."