Le vrai du faux : six idées reçues sur Élisabeth II

Militante anti-Brexit, intraitable avec le protocole, décidée à sacrifier sa sœur dans l’intérêt de la monarchie, dépassée par l’émotion de la mort de Diana, à la tête d’une famille royale raciste… Comme pour toute personnalité entrée vivante dans la légende, approximations et contresens pleuvent dès qu’il s’agit de Sa Très Gracieuse Majesté. Revue de détail en quête de vérités. 

Par Jean Linxe - 01 juin 2022, 09h30

 Retour sur les faux-semblants et idées reçues concernant Élisabeth II.
Retour sur les faux-semblants et idées reçues concernant Élisabeth II. © Getty Images

L’abdication 

Après le jubilé, elle devrait abdiquer. Comme Édouard VIII. Même le pape Benoît XVI a mis fin à sa mission à la tête de l’Église. Combien de fois entend-on, ou lit-on, ce genre de remarque ! Il n’y a qu’un problème, Élisabeth II est la dernière souveraine ointe et sacrée, non seulement chef d’État mais chef de l’Église anglicane. Et le sacre, à moins d’un reniement, oblige à jamais, comme l’ordination sacerdotale. 

Le couronnement d'Elisabeth II le 2 juin 1953 à Westminster.
Le couronnement d'Élisabeth II le 2 juin 1953 à Westminster. © Popperfoto/Getty Images

Édouard VIII a pu abdiquer, le 10 décembre 1936, justement parce qu’il n’avait pas encore été sacré. Quant au pape, s’il est le vicaire du Christ sur terre, il est élu par un Collège cardinalice et, même si ce n’est pas la tradition, rien ne l’empêche de renoncer à exercer son ministère s’il ne s’en sent plus la force. 

Ainsi Élisabeth II pourra t-elle être placée sous la régence de son fils, comme le fut George III, au cas où elle se trouverait dans l’incapacité d’exercer ses fonctions, mais son règne se poursuivra aussi longtemps que sa vie. Comme cette chimère de l’abdication, les idées reçues circulant autour de la souveraine la plus célèbre du monde sont légion. Aussi nombreuses que ses soixante-dix années à la tête de l’État, record absolu pour la Grande-Bretagne.

Européenne ou pas ?

À force de vouloir interpréter le moindre de ses gestes, le moindre de ses choix, les journalistes et les hommes politiques peuvent tomber totalement à côté de la plaque. Le meilleur exemple en est l’affaire du chapeau. Le 21 juin 2017, en pleine négociation sur le Brexit, Élisabeth II, suite à des élections anticipées, préside l’ouverture du Parlement en tenue de ville. Elle arbore un couvre-chef qui va créer un véritable séisme, bleu de roi avec des fleurs de même couleur dont le pistil jaune évoque pour les observateurs les étoiles du drapeau européen.

Élisabeth II lors de la cérémonie d'ouverture du parlement au palais de Westminster de Londres, le 21 juin 2017. © Bestimage

Aussitôt, articles et commentaires se multiplient. La reine avait-elle le droit de sortir de sa réserve pour manifester un sentiment proeuropéen que beaucoup lui prêtent, sans en avoir la moindre preuve ? Jusqu’à l’ancien Premier ministre belge Guy Verhofstadt qui souligne dans un tweet que "d’évidence, l’Union européenne inspire encore au Royaume-Uni". 

La réalité, cependant, est tout autre, selon Angela Kelly, l’habilleuse et couturière de la souveraine depuis vingt-cinq ans. Les spéculations de la presse "nous ont fait sourire", confie-t-elle dans son livre de souvenirs. "Nous avons juste cherché des couleurs qui correspondent au décor et donnent de l’éclat au visage de Sa Majesté." Aucune intention, donc, de manifester son hostilité au processus en cours. 

Angela Kelly le 20 août 2019
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Élisabeth II est d’ailleurs trop consciente de la nécessité de rassembler la nation pour alimenter une polémique très clivante parmi ses concitoyens. En réalité, la reine qui a toujours voulu "être vue pour être crue", selon sa propre expression, choisit certes des couleurs qui permettent à sa silhouette de se détacher mais ne manque pas non plus de coquetterie et n’est pas insensible aux charmes d’une nouvelle robe, ou d’un chapeau un peu original, sans qu’il y ait derrière cela le moindre message politique.

Il y a protocole et… protocole 

Si, par ailleurs, elle connaît toutes les finesses du très impressionnant protocole royal sur le bout du sceptre, elle n’en est en rien prisonnière, au contraire de ce que prétendent certaines rumeurs, la présentant comme très pointilleuse sur la question. Mieux, Élisabeth II sait même envoyer valser ce sacré protocole quand elle en devine la nécessité. En atteste la réception du président américain Barack Obama et de son épouse, le 1er avril 2009, au palais de Buckingham. 

Le prince George, trois ans, a serré la main du président le plus sérieusement du monde, encouragé par son père le prince William. © The White House/Getty Images
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Ainsi qu’elle le confiera par la suite, Michelle Obama est justement stressée par toutes les questions formelles qu’elle doit assimiler. Ce que comprend la reine dont le réflexe est de la mettre à l’aise et de lui dire que tout cela n’a pas la moindre importance. L’ambiance est détendue entre le couple royal et ses hôtes.

La première dame, oubliant qu’on ne touche pas la reine, lui passe une main sur l’épaule au moment de la photo officielle. Aussitôt, sa Majesté prend Michelle Obama par la taille pour lui épargner les critiques de la presse britannique que lui vaudrait autrement sa trop grande familiarité.

Noir et blanc... 

Plus que tout, Élisabeth II veut éviter les articles à relents racistes qui causeraient un embarras diplomatique et la navreraient, comme l’ont blessée les accusations portées par le duc et la duchesse de Sussex à l’encontre de la famille royale, lors de leur entretien télévisé avec Oprah Winfrey, le 8 mars 2021. 

D’autant que la souveraine a passé sa vie à incarner l’unité du royaume et du Commonwealth, par-delà des différences de culture, de couleur de peau et de religion. Comme lors de son voyage au Ghana, en 1961. Churchill et le Premier ministre Macmillan s’y opposent à l’heure où ils redoutent que ce pays quitte justement le Commonwealth pour se rapprocher de Moscou. 

Élisabeth II danse avec Kwame Nkrumah, le président ghanéen, lors de son voyage au Ghana en 1961.
Élisabeth II danse avec Kwame Nkrumah, le président ghanéen, lors de son voyage au Ghana en 1961. © Popperfoto via Getty Images/Getty Images

La reine passe outre et danse même avec le président ghanéen Kwame Nkrumah, à une époque où de facto les Noirs ne peuvent toujours pas voter librement aux États-Unis. Le retentissement de ce geste est immense et le Ghana reste dans le Commonwealth. Bien sûr, cela ne veut pas dire qu’Élisabeth II ne considère pas le Commonwealth comme le prolongement du vieil Empire britannique. Question de génération. Mais son engagement à le servir est total et sincère.

La vérité sur Margaret 

Malgré son absolu sens du devoir, cependant, il est faux de dire qu’Élisabeth II a sacrifié le bonheur de la princesse Margaret à la raison d’État. Elle demande d’abord à sa chère sœur cadette d’attendre un an pour convoler, après le couronnement, d’autant que la reine Mary vient de mourir et que Margaret souhaite épouser Peter Townsend, héros de la guerre, mais divorcé. Lorsque l’idylle devient de notoriété publique la crise constitutionnelle qu’elle pose éclate.

En octobre 1955, Margaret doit sacrifier son amour. © Popperfoto/Getty Images
La princesse Margaret et Peter Townsend en Afrique du Sud en 1955. © Popperfoto/Getty Images

Le secrétaire particulier d’Élisabeth II lui conseille d’éloigner Townsend, elle s’y oppose et en fait son écuyer. Le Premier ministre britannique et ceux des dominions refusent d’approuver le mariage, tout comme le Parlement et l’Église d’Angleterre. Sensible au désarroi de sa sœur, Élisabeth II lui conseille d’attendre 1955 et son 25e anniversaire afin d’épouser Peter Townsend sans avoir à obtenir le consentement de la reine. Mais la pression publique et institutionnelle aura raison de Margaret qui renonce à son grand amour. 

La reine et Diana 

Autre légende solidement ancrée, celle du complot royal ayant mené à la mort de Diana. Depuis la tragédie du 31 août 1997, les théories n’ont cessé de fleurir, toutes plus loufoques les unes que les autres. Même les enquêtes française et britannique n’ont jamais réussi à dissiper totalement ce fantasme. D’autant plus injuste qu’Élisabeth II a soutenu contre vents et marée sa belle-fille. Jusqu’à prendre le parti...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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