Le 4 octobre dernier, une silhouette fine se détache des touristes à l’aéroport JFK de New York. Portant elle-même ses bagages, la princesse Anne, l’unique fille d’Élisabeth II, vient de débarquer d’un vol commercial pour une visite officielle. L’image contraste avec celle de son frère le roi Charles III, voué à des modes de déplacement plus protocolaires. Honorant quatre engagements en une seule journée, elle est aussi le premier membre de la famille royale à visiter le National Lighthouse Museum de Staten Island, berceau de l’immigration du début du XXe siècle. Juste après le Nouveau Monde, elle se rend en toute discrétion en Ouganda pour trois jours, rencontre le président Yoweri Museveni et des membres de l’ONG Save the Children, dont elle défend l’action depuis cinquante ans.

Auprès d’elle, un peu en retrait, se tient le vice-amiral Timothy Laurence. Au début des années 1990, en pleine crise conjugale avec son premier mari Mark Phillips, Anne rencontre cet officier de marine qui sert alors comme écuyer de la reine. Elle est séduite par son émouvante timidité. Il aime sa droiture et sa loyauté.

Ensemble, ils partagent l’amour de la voile et possèdent un yacht depuis 2012, Ballochbuie, amarré dans un port d’Écosse aussi discret que leur mariage, le 12 décembre 1992, à Crathie Kirk, l’église qui sert de paroisse à la famille royale lorsqu’elle séjourne à Balmoral. Une union dont Anne et Tim viennent de célébrer le trentième anniversaire, mais dont les prémices furent aussi tumultueuses que les mers du Nord.

En 1989, The Sun révèle en effet les lettres secrètes des deux amants. Trois ans plus tard, alors que la séparation de Charles et Diana fait la une des magazines, la princesse royale contribue malgré elle à la fameuse annus horibilis de la reine Élisabeth II, en divorçant du père de ses deux enfants, Zara et Peter. Alors que, depuis toujours, elle a placé les intérêts de la monarchie avant les siens.
Un soutien indéfectible
Cet orgueil de servir sans le faire savoir, Anne le tient de son père, le duc d’Édimbourg, qui l’admire pour son courage et son abnégation. "Elle est le fils que le prince Philip n’a jamais eu", note Jennie Bond, ancienne correspondante royale de la BBC, dans le documentaire Princess Anne : The Daughter Who Should Be Queen. Petite, déjà, elle grimpe aux arbres, prend tous les risques. Si Charles est de deux ans son aîné, il est souvent décrit comme moins casse-cou et plus réfléchi. Et quand il qualifie de "peine de prison" ses années à la Gordonstoun School, un lycée pensionnat pour garçons dans lequel le prince Philip a lui-même suivi sa scolarité, Anne rêve d’y aller et de relever tous les défis. À bien des égards différente de son grand frère, elle forme cependant avec lui un tandem indissociable.

Contrairement aux princes Andrew et Edward, qui naissent alors qu’Élisabeth II, déjà sur le trône depuis une décennie, s’autorise à prendre du temps pour ses cadets, Charles et Anne ont dû composer avec des parents absents : "la reine aimait son premier et son second enfant, mais au cours des premières années de son règne, elle s’est concentrée sur son devoir de souveraine, à l’exclusion de toute autre chose", écrit Catherine Mayer, dans la biographie Charles : The Heart of a King. Élevés par des gouvernantes et la reine mère, ils possèdent de nombreux points communs, comme l’humour, la passion pour la nature et l’équitation.

À un détail près. Premier dans l’ordre de succession au trône, le prince Charles est destiné à devenir roi. Loin d’une quelconque forme de jalousie, sa sœur s’érige en soutien indéfectible et reproduit avec lui ce que le prince Philip a toujours été pour la reine: un roc. Ainsi, Anne se tient aux côtés de son grand frère lors de son investiture au château de Caernarvon le 1er juillet 1969, l’appuie durant son divorce avec la princesse Diana et plaide sa cause auprès d’Élisabeth II après la révélation d’écoutes téléphoniques très intimes entre Charles et Camilla, en 1993.
Des épreuves qui soudent Charles et Anne toujours davantage. En bonne cavalière – elle est notamment championne d’Europe de concours complet d’équitation en individuel –, la princesse royale ne renâcle jamais devant l’obstacle et remonte en selle après chaque chute. Et poursuit, dans l’ombre du prince Charles, ses engagements au service de la couronne. Elle est même considérée comme la plus "travailleuse" des Windsor, avec plus de 500 engagements par an.

Une vie de devoir qu’elle n’a pas voulu imposer à ses enfants, Zara et Peter, en refusant pour eux tout titre ou prédicat d’altesse royale. Une manière de leur "offrir" la liberté qu’elle n’a jamais eue. Quant à elle, la princesse Anne remplit son rôle loin de la surexposition médiatique. Une attitude aux antipodes des apparitions chargées d’émotion de Diana. Ce qui lui vaut un temps l’indifférence ou les moqueries des tabloïds. En visite aux États-Unis dans les années 1970 avec son frère Charles, alors prince de Galles, Anne est frontalement attaquée par la presse. Préférant les bains de foule aux questions des journalistes, elle s’attire les foudres du Daily Mirror, qui la surnomme bientôt "Princess Sourpuss" – princesse Aigrie. Tandis que le futur monarque suscite autour de lui une sympathie véritable, accentuée dans les années 1980 par le couple qu’il forme avec Diana Spencer, la fille de la reine baisse la tête et poursuit sa route sans dévier d’un pouce. Jusqu’en 1992, avec son divorce et son remariage.
"Anne est une présence solide au milieu d'une monarchie déchirée par la rivalité fraternelle"
Intriguée, la presse suit de nouveau la princesse royale, en déplacement en Afrique pour l’association Save the Children, et se rend compte de son investissement véritable. Et du travail jusqu’ici accompli dans l’ombre. Sans devenir populaire du jour au lendemain, la princesse Anne voit son image se modifier et grandir l’estime de l’opinion face à son dévouement opiniâtre, sa discrétion, sa simplicité. La crise du Covid assoit définitivement sa popularité. Le confinement dévoile une princesse en télétravail, pleine d’humour et maniant même une certaine autodérision que le public n’avait guère eu jusqu’alors l’occasion d’observer chez elle.

Présente à Balmoral, c’est Anne qui appelle son frère aîné pour qu’il se rende au chevet de la reine, le matin du 8 septembre 2022. "J’ai eu la chance de partager les dernières 24 heures de la vie de ma très chère mère", écrit-elle dans une tribune poignante. "Ce fut un honneur et un privilège de l’accompagner dans son dernier voyage." Désignée par la souveraine pour escorter sa dépouille de l’Écosse vers l’Angleterre, les yeux rougis par le chagrin, elle se fend d’une révérence parfaite à l’instant où le cercueil d’Élisabeth II pénètre à Holyroodhouse. Un témoignage de respect autant que d’amour. L’adieu plein de sensibilité et de grandeur d’une fille à sa mère. D’une princesse à la reine.

Le 13 septembre dernier, en la cathédrale St Giles d’Édimbourg, elle est d’ailleurs la première femme de l’Histoire à participer à la "vigile des princes", avec ses trois frères, autour du cercueil de la reine. "Anne est une présence solide au milieu d’une monarchie déchirée par la rivalité fraternelle, ces dernières années." assure la journaliste du Telegraph...
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