Élisabeth et Margaret, les confidences de leur amie d'enfance

Dans un journal intime* écrit pendant la Seconde Guerre mondiale et aujourd’hui publié, Alathea Fitzalan Howard dresse le portrait délicieux d’Élisabeth et de Margaret, princesses adolescentes qu’elle a fréquentées à Windsor. Elle y dévoile aussi la folle passion de la future reine, dès l’âge de 14 ans, pour son cousin Philip de Grèce. Jusqu’au vertige.

Par Laurence Dyvane - 07 octobre 2020, 09h00

 Les mémoires d'Alathea Fitzalan Howard, amie d'enfance de la reine Élisabeth II, offre un témoignage intime sur la vie de la souveraine et de sa soeur lors de la seconde guerre mondiale.
Les mémoires d'Alathea Fitzalan Howard, amie d'enfance de la reine Élisabeth II, offre un témoignage intime sur la vie de la souveraine et de sa soeur lors de la seconde guerre mondiale. Everett Collection/ABACA

Mercredi 20 mars 1940. "Lilibet a cessé de porter des chaussettes." Au début de la Seconde Guerre mondiale, Alathea Fitzalan Howard (1923-2001), petite-nièce du quinzième duc de Norfolk**, est envoyée chez son grand-père, le vicomte Fitzalan of Derwent, après la séparation de ses parents. Le vieux lord qui l’accueille habite Cumberland Lodge, un imposant manoir du XVIIe siècle situé sur les terres de Windsor, à quelques kilomètres du château, résidence royale. C’est ici, entre balades dans le parc, charades, cours de dessin, théâtre, hockey sur le lac gelé, thés, pique-niques et fêtes, que la jeune fille désœuvrée se lie d’amitié avec les princesses Élisabeth et Margaret, chaperonnées par leur gouvernante Crawfie.

Une plongée inédite dans le quotidien des petites princesses

Dans son journal intime, Alathea consigne jour après jour ce bonheur fragile et leur complicité dans une Angleterre sans cesse menacée par les bombes allemandes. En mai, Élisabeth, qui a adopté les bas de soie, montre des talents de danseuse de claquettes sur la chanson de Bing Crosby et Connie Boswell, An Apple for the Teacher, sortie un an plus tôt, tandis que le rideau du spectacle tombe sur la tête de sa cadette, Margaret.

Au fil des pages, le roi George VI et la reine Elizabeth, désignés par K et Q (pour King et Queen), apparaissent prévenants, surtout la "douce et gentille" souveraine, "au charme irrésistible". Le futur comte Spencer, père de Diana alors encore élève d’Eton, leur rend visite, et Alathea s’étonne de l’harmonie qui règne dans le château. "Je mourrais volontiers pour cette famille s’il y avait une révolution", soupire la jeune lady, elle-même privée d’amour maternel.

Et malgré la tourmente de la guerre, il fait bon danser sous les ors de Windsor, le temps d’un bal estival en robe de tulle: Margaret, 10 ans à peine, est autorisée à veiller presque jusqu’à l’aube. En décembre 1941 cependant, un autre bal sera annulé, quand la marine japonaise coulera deux navires de la Royal Navy au nord de Singapour. Par touches délicates, ce précieux témoignage esquisse surtout les personnalités des deux sœurs.

Lilibet cuisine et aime même faire la vaisselle, mais déteste les travaux d’aiguille. La princesse juge aussi la présence de chiens opportune quand la conversation décline avec des officiers de passage de la Royal Air Force qu’elle se doit d’assaillir d’amabilités. Entre deux bulletins d’information à la radio, Margaret, elle, s’inquiète d’être jolie et plus encore, aimée. "Comment peut-on ne pas l’aimer ? Elle a hérité de tout le charme de sa mère, plus que L.", note Alathea, qui vacille pourtant d’émotion le jour où Élisabeth la sacre solennellement "meilleure amie".

Élisabeth et Margaret, durant la guerre, en tenu de scène à Windsor. © SWNS/ABACA
Élisabeth et Margaret, durant la guerre, en tenu de scène à Windsor. © SWNS/ABACA

Le facétieux trio s’extasie au cinéma devant Fantasia ou Dumbo de Walt Disney, et tente aussi de viser, en crachant, les feuilles qui dérivent d’un ruisseau, dans de grands éclats de rire. L’enfance, même royale, a ses jeux interdits. La confiance s’installant, la jeune aristocrate, de quelques années leur aînée, glisse avec tendresse dans son diary les confidences des princesses. Quels rêves hantent une adolescente qui se sait destinée au trône ? Quels secrets, derrière l’exquise politesse, font vibrer le cœur d’une future reine, emportée, malgré son rang, par les émois de l’âge tendre?

Élisabeth –qui ne signe pas encore ses lettres "Princesse"– n’a pas 15 ans quand elle évoque pour la première fois le prince Philip de Grèce. Plutôt "placide" et "dans sa coquille", Lilibet, "qui ne désire jamais ce qui ne se présente pas sur son chemin", s’anime fiévreusement dès qu’il est question de lui. Elle le présente comme son "beau", s’avouant "très excitée" à la perspective de sa venue un week-end de novembre.

En cette année 1942, les fêtes se raréfient à Windsor, car la reine craint que l’opinion ne désapprouve la légèreté de la famille royale en ces temps troublés. Les princesses mettent un point d’honneur à arborer des vêtements usés, sauf lorsque toutes deux se produisent costumées dans un spectacle de Cendrillon.

À 16 ans, Élisabeth, tout juste nommée colonel en chef du régiment d’infanterie des Grenadier Guards, paraît déjà pleinement consciente de sa position et, avec un pragmatisme qui intrigue Alathea, accepte la charge qui lui incombe avec un inébranlable sens du devoir. Dans le journal, "Lilibet" fait place à "P. E.", plus protocolaire, et il faut désormais l’appeler par son titre de princesse.

L’enfance a fui. Amoureuse, la jeune aristocrate jalouse la complicité entre l’héritière du trône et Hugh Euston, un officier des Grenadier Guards dont elle s’est éprise. Mais la princesse la rassure. À la faveur de rêveries communes, un soir, elle découvre un autre visage de son amie, qui s’autorise dans la semi-pénombre à livrer librement ses états d’âme.

Alathea Fitzalan Howard a été un témoin privilégié 

La future reine se demande alors si elle se mariera un jour. Alors qu’Alathea lui rétorque qu’elle n’en doute pas, Élisabeth, prise d’un élan passionné en songeant vraisemblablement à Philip, lui affirme qu’elle serait capable de s’enfuir avec l’homme qu’elle voudrait épouser. Une déclaration qui sidère sa confidente. "J’ai vu, écrit-elle, derrière son calme apparent et son impassibilité, quelque chose d’aimable et de sincère. Je sais qu’à la lumière du jour, cet aspect de sa personnalité disparaîtra, mais je ne l’oublierai jamais, et mon affection pour elle n’en est que plus profonde." 

Tandis que le conflit tire à sa fin et que la libération de Paris, en août 1944, réjouit la famille royale, Élisabeth, 18 ans, revêt l’uniforme militaire, apprend à conduire et soutient l’effort de guerre. Mais au-delà des obligations, la future souveraine rêve toujours à son prince charmant. Lequel, à Noël, lui a envoyé un portrait de lui. N’écoutant que son cœur, la princesse, toute à sa joie, serre la photographie contre elle comme un talisman et se met à danser dans le salon, sous le regard moqueur de sa cadette, avant de la placer sur la cheminée de sa chambre.

Le 8 mai, les échos d’une Europe euphorique après la victoire des Alliés franchissent les grilles de Windsor. Lors des bals qui se succèdent alors, Élisabeth se révèle une "énergique" danseuse, attentive à ne pas décevoir les nombreux cavaliers qui se pressent auprès d’elle. Elle danse inéluctablement vers son destin, secrètement heureuse de se savoir liée au seul homme qu’elle ait jamais aimé, Philip Mountbatten, qu’elle épousera le 20 novembre 1947.

Alathea Fitzalan Howard, quant à elle, rentre à Londres le 13 octobre 1945, entre excitation et mélancolie. Témoin privilégié du quotidien de la famille royale pendant près de cinq ans, elle reverra désormais son amie sacrée reine de loin en loin, enchantée que la souveraine l’invite en 2001, quelques mois avant sa mort, à un dernier bal à Windsor, et honorée que sa chère "Lilibet" l’ait placée à sa table. Publié aujourd’hui, son journal résonne comme l’émouvante et très exclusive chronique des années de guerre d’une famille royale unie.

* The Windsor Diaries, a childhood with the Princesses, d’Alathea Fitzalan Howard, édité par Isabella Naylor-Leyland, éditions Hodder & Stoughton, à paraître le 8 octobre 2020, en anglais (sortie prévue en France, aux éditions Stock, en 2021).

** Premier duc d’Angleterre.

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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