Voici à peine six mois, cela aurait mis le royaume en alerte. Mais en ce 14 mars 2022, qu’Élisabeth II renonce à assister au service œcuménique dit en l’abbaye de Westminster pour célébrer la journée du Commonwealth ne trouble personne. Car la communication royale a basculé dans une autre dimension. Nous sommes désormais aux antipodes de la loi du silence qui prévalait encore en octobre 2021, lorsque la reine a été hospitalisée une demi-journée pour des examens dont la teneur n’a jamais été rendue publique.
Cette fois, aucun mystère, Élisabeth II a des difficultés à se déplacer et à garder trop longtemps la station debout. Elle le confesse elle-même avec le sourire, "je ne peux pas bouger", lance-telle le 16 février dernier à deux officiers supérieurs reçus en audience au château de Windsor. Telle est la raison pleinement assumée de son absence au Commonwealth Day, pourtant cher à son cœur. Il va falloir maintenant prévoir des accès facilités et adapter les cérémonies à l’âge de la souveraine.

Des cérémonies et engagements dont la tonalité elle aussi évolue. Un peu moins de pompe et un peu plus de naturel. Lorsque le prince de Galles et la duchesse de Cornouailles arrivent à l’abbaye de Westminster pour assister au nom de la reine à la célébration du Commonwealth Day, ils embrassent affectueusement le duc et la duchesse de Cambridge qui les ont précédés. Un geste tout simple auquel on n’aurait jamais assisté auparavant dans un cadre aussi solennel.
De même, les membres le plus éminents de la famille royale épousent de façon nettement plus décomplexée les sentiments de leurs concitoyens, dont ils se font les porte-parole. Ainsi, ce 2 mars, quand le prince de Galles et la duchesse de Cornouailles se rendent à la cathédrale ukrainienne de Londres pour marquer leur solidarité à l’égard de la nation agressée. Camilla est à ce point bouleversée qu’elle peine à retenir ses larmes en présence des enfants qui l’entourent. On est très loin de la retenue de rigueur au sein de la famille royale.
Un tweet qui est surtout l'expression de l'émotion du peuple britannique
Décidément, quelque chose a changé, du côté d’Albion. En témoigne le tweet publié, le 26 février dernier, par les Cambridge, en soutien au président Zelensky et au peuple ukrainien. D’aucuns pourraient juger politique une telle prise de position, et donc contraire à l’esprit de la monarchie constitutionnelle, de la part d’un futur souverain. Elle est surtout l’expression de l’émotion du peuple britannique qui se retrouve dans l’hommage rendu par William et Kate au président Zelensky, présenté outre-Manche comme le Churchill ukrainien.

D’ailleurs, la reine n’est pas en reste, avec un don substantiel à une association pour venir en aide aux réfugiés ukrainiens. Elle aussi exprime ses sentiments et les partage avec ses concitoyens. Un changement de paradigme qu’ils ont remarqué pour la première fois lors du discours de Noël d’Élisabeth II, diffusé à la télévision le 25 décembre 2021. Il n’a jamais été aussi personnel. Intime.
"Noël peut être douloureux pour ceux qui ont perdu des êtres chers. Cette année, tout particulièrement, je comprends pourquoi. Mais en ce qui me concerne, dans les mois qui ont suivi la mort de mon bien-aimé Philip, j’ai trouvé un grand réconfort dans la chaleur et l’affection émanant des nombreux hommages rendus à sa vie et à son travail – à travers le pays, le Commonwealth et le monde. Son sens du service, sa curiosité intellectuelle et sa capacité à faire ressortir l’aspect amusant de n’importe quelle situation – étaient également irrésistibles. Ce pétillement malicieux et interrogateur dans son regard était aussi vif à la fin que lorsque j’ai levé les yeux sur lui pour la première fois."

En invoquant le duc d’Édimbourg, mort le 9 avril dernier, Élisabeth II oublie sa pudeur instinctive pour faire de ses vœux annuels une émouvante déclaration d’amour à son si cher disparu. En le plaçant au cœur de son discours, la reine offre en exemple un prince qui aura voué sa vie à servir les autres, à transmettre ses valeurs, à se révéler pionnier dans bien des domaines, dont l’environnement.
Il s'agit d'allumer des contre-feux, de mettre en lumière les piliers du règne
Et cela n’a rien d’anodin, à l’heure où le prince Andrew, avec l’affaire Epstein, et le duc de Sussex, avec ses coups de boutoir incessants contre la monarchie, menacent de transformer l’année jubilaire d’Élisabeth II en chemin de croix. L’un et l’autre dégradent l’image d’une famille royale qui ne peut en aucun cas laisser faire sans réagir. Alors, il s’agit d’allumer des contre-feux, de mettre en lumière les piliers du règne, à l’instar du duc d’Édimbourg. Plus encore, il faut songer à l’avenir, l’incarner fortement en tenant compte de l’évolution d’une société qui rejette des élites souvent perçues comme trop lointaines.
Là c’est le duc de Cambridge qui est à l’offensive, notamment avec le podcast Time to Walk, enregistré en février 2021 et diffusé le 6 décembre dernier, dans le cadre d’une série d’émissions Apple. Pour obtenir la participation du prince William, l’entreprise américaine a fait un don important à trois associations caritatives vouées à la santé mentale et a accepté que l’épisode du deuxième successible à la Couronne soit disponible gratuitement.

D’un naturel aussi réservé que la reine, William se livre cependant comme jamais, au fil de cette promenade de trente-huit minutes qui l’emmène de l’église Sainte-Marie-Madeleine, sur le domaine de Sandringham jusqu’à sa résidence d’Anmer Hall, offerte par la reine aux Cambridge, au moment de leur mariage. Il y parle sans fard de la dépression dont il a souffert après avoir secouru un petit garçon renversé par une voiture lorsqu’il était pilote d’hélicoptère pour l’East Anglian Air Ambulance, en 2017.
"C'est un homme adorable, étonnant. Je serai fière de l'appeler mon roi, un jour"
L’enfant souffrait de dommages cérébraux. Jeune père lui-même, William était sous le choc. "Je suis rentré à la maison cette nuit-là assez bouleversé mais sans savoir l’exprimer. Je n’étais pas en larmes, mais j’avais le sentiment que quelque chose en moi avait changé. J’ai ressenti une réelle tension intérieure. Et puis, le lendemain, je suis retourné au travail, vous savez, avec un équipage différent. Pour la mission suivante. Et puis vous avez une réticence à en parler, parce que vous ne voulez pas impliquer les autres… Cela m’a vraiment submergé des semaines plus tard. J’avais l’impression que le monde entier était en train de mourir… Je n’arrêtais pas de me demander pourquoi j’étais si triste. J’ai eu la chance d’avoir quelqu’un à qui me confier...
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