Les révélations ont provoqué une onde de choc au milieu de l’été, dévoilant les contours de l’une des plus grandes affaires de cyber-espionnage jamais mises au jour depuis l’affaire Snowden. Dans une série d’articles publiés par un consortium réunissant seize médias internationaux menés par les organisations Forbidden Stories et Amnesty International, l’entreprise israélienne NSO Group est accusée d’avoir, pour le compte de plusieurs gouvernements, ciblé les numéros de près de 50.000 personnes à des fins de surveillance illégale.
Des proches de Mohammed VI ciblés par Pegasus
Par le biais du logiciel malveillant Pegasus, officiellement réservé aux individus soupçonnés de crimes graves et d’actes terroristes, une dizaine d’États ont, depuis 2018, piraté ou tenté de pirater les téléphones de centaines de membres de la société civile, parmi lesquels des journalistes, des activistes, des militants des droits de l’homme et des universitaires.
Particulièrement performant et intrusif, Pegasus permet d’accéder à distance à l’ensemble des données d’un téléphone, sans même que l’utilisateur n’ait à ouvrir un lien ou un fichier frauduleux. Dans ce vaste scandale qui touche aussi l’Inde, le Mexique, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, le Maroc figure au rang des principaux accusés.

Selon les données obtenues par Le Monde, environ 10.000 des 50.000 numéros collectés l’ont été par le royaume chérifien. La cyber-surveillance aurait visé plusieurs proches et membres de la famille royale et le souverain lui-même.
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Le téléphone portable de la princesse Lalla Salma, l’épouse de Mohammed VI, aurait été ciblé par Pegasus, tout comme celui du prince Moulay Hicham El Alaoui, le cousin du roi, critique à l’égard du régime et installé aux États-Unis. Le numéro du frère de ce dernier, le prince Moulay Ismaïl, apparaît lui aussi sur la liste, à côté de celui du chambellan du roi, et de son ancien garde du corps en chef.
"Toute la lumière sera faite sur ces révélations"
D’après Amnesty, plusieurs opposants du régime ont aussi été espionnés, dont Omar Radi et Taoufik Bouachrine, deux journalistes actuellement emprisonnés. Ces opérations d’une envergure inédite pourraient avoir été pilotées par Abdellatif Hammouchi, le tout-puissant patron du renseignement et de la Sûreté nationale.
Adepte de nouvelles technologies, cet homme de 55 ans est considéré comme le "premier centurion" du palais royal. Le périmètre de son action s’étend aussi au-delà des frontières du royaume : en 2019, c’est l’un des numéros d’Emmanuel Macron, d’Édouard Philippe et d’une quinzaine de ministres qui auraient été sélectionnés – mais pas nécessairement infiltrés par ses services.
Les téléphones de journalistes du Canard enchaîné et de Mediapart ont également été ciblés."Si ces faits sont avérés, ils sont très graves. Toute la lumière sera faite sur ces révélations", a réagi l’Élysée, sans toutefois s’étendre sur d’éventuelles suites diplomatiques.
Le royaume marocain réfute les accusations à son encontre
Embarrassé par l’ensemble de ces allégations qui entachent l’image moderne et progressiste du royaume, l’État marocain oppose un ferme démenti, et nie toute implication. Dans un communiqué diffusé au lendemain des révélations, Rabat "condamne vigoureusement la persistance de la campagne médiatique mensongère, massive et malveillante", et affirme n’avoir "jamais acquis de logiciel informatique pour infiltrer des appareils de communication".
D’après Chakib Benmoussa, l’ambassadeur du royaume en France, le Maroc serait en réalité "victime" dans cette affaire : "Il s’agit d’une tentative de déstabilisation [...] Quelles raisons aurions-nous d’entreprendre de tels actes d’espionnage ?", interroge-t-il dans les colonnes du JDD. L’ambassadeur écarte aussi l’idée d’un lien troublant entre les acteurs en présence et la normalisation récente des relations entre le Maroc et Israël, suspecté d’utiliser les services de NSO comme levier diplomatique.

Contacté par Point de Vue, l’avocat du royaume, maître Olivier Baratelli, martèle que Rabat "n’a jamais utilisé le logiciel Pegasus", et évoque des "pièces fabriquées" par les auteurs de l’enquête journalistique. Il annonce le dépôt en France de plaintes en diffamation contre Amnesty, Forbidden Stories, Le Monde, Mediapart et Radio France. De leur côté, plusieurs journalistes ont déposé plainte pour atteinte à la vie privée et association de malfaiteurs. Le parquet de Paris a ouvert une enquête.
Les relations entre la France et le Maroc ne devraient pas, elles, souffrir outre mesure de cette affaire : amis et alliés de longue date, les deux pays sont liés par de nombreux intérêts géostratégiques et économiques, et devraient continuer de coopérer étroitement en matière de lutte antiterroriste.
Pour l’avenir du royaume chérifien, le plus inquiétant est peut-être que des responsables d’État se permettent d’espionner leur propre souverain et son épouse. Et si c’était là qu’il fallait craindre une réelle tentative de déstabilisation ?
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