Depuis quelques jours, déjà, le Luxembourg retenait son souffle. À 98 ans, le grand-duc Jean était hospitalisé en raison d’une infection pulmonaire. L’inquiétude monte encore d’un cran au soir du dimanche de Pâques.
Le surlendemain, le mardi 23 avril 2019, survient la nouvelle que chacun redoutait. Délivrée, à 6h du matin, par un communiqué plein d’émotion contenue, simplement signé Henri. "C’est avec une grande tristesse que je vous fais part du décès de mon père bien aimé, Son Altesse Royale le grand-duc Jean, qui nous a quittés dans la paix, entouré de l’affection de sa famille."
Message de Son Altesse Royale le Grand-Duc:"C'est avec grande tristesse que je vous fais part du décès de mon père bien-aimé, Son Altesse Royale le Grand-Duc Jean, qui nous a quittés dans la paix, entouré de l’affection de sa famille."Luxembourg, le 23 avril 2019 pic.twitter.com/ekAPTDNhcf
— Cour Grand-Ducale (@CourGrandDucale) 23 avril 2019
L’Europe entière est bouleversée est venue assister aux obsèques, le 4 mai 2019. L’ancien souverain n’est plus, le grand-père de la nation, l’homme qui avait donné au pays sa dimension européenne, le héros luxembourgeois de la Seconde Guerre mondiale. Avec lui disparaît tout un pan de l’Histoire moderne.
Quand le grand-duc débarque, dans le cadre de l’opération Overlord, un sous officier joue de la cornemuse. "Ils ont été attaqués par un avion allemand et un autre sous-officier, des Transmissions, a été tué", précise le colonel Germain Frantz, ancien aide de camp du souverain défunt.
Le lieutenant Jean de Luxembourg vient de prendre pied sur le sol normand à J + 5, le 11 juin 1944, avec une unité de soutien de son régiment, les Irish Guards. "La grande duchesse Charlotte était inquiète pour son fils, bien sûr. Il était simplement en contact avec elle par lettres, comme les autres officiers." Même si Jean Luxembourg est loin d’être un officier ordinaire.
Un jeune homme discret et souriant, passionné d’histoire et de musique
Né le 5 janvier 1921 au château de Colmar-Berg, il est le fils aîné de la grande-duchesse Charlotte et du prince Félix de Bourbon-Parme. Le référendum qui conforte la légitimité de la jeune souveraine après l’abdication forcée de sa soeur Marie Adélaïde, accusée de germanophilie, remonte à deux ans à peine. Plus que jamais, il s’agit que la dynastie soit irréprochable.

Jean, Benoît, Guillaume, Robert, Antoine, Louis, Marie, Adolphe, Marc-d’Aviano de Luxembourg est élevé dans la mystique du devoir. D’abord au château de Colmar-Berg, par des précepteurs. Puis à l’Athénée de Luxembourg. Adolescent, le voilà pensionnaire au collège d’Ampleforth, dans le Yorkshire. Idéal pour maîtriser l’anglais en plus du français, de l’allemand et du lëtzebuergesch, les trois langues officielles du grand-duché.
C’est un jeune homme discret et souriant, passionné d’histoire et de musique, qui est proclamé grand-duc héritier le 5 février 1939, un mois après ses 18 ans, sanglé dans l’uniforme de lieutenant de la Compagnie des volontaires. Une fois encore, l’Europe est au bord de basculer dans l’apocalypse. Le Luxembourg s’attend à voir sa neutralité violée par les troupes allemandes, comme en 1914.
La famille grand-ducale sur les routes de l'exil durant la Seconde Guerre mondiale
"Au printemps de 1940, dit le colonel Frantz, le départ de la famille grand ducale avait été décidé de concert par la grande-duchesse Charlotte et le gouvernement pour éviter qu’elle ne devienne l’otage des Allemands." La souveraine et son époux, le prince Félix, décident de rester auprès de leurs concitoyens jusqu’à la dernière extrémité mais envoient le grand-duc héritier et deux de ses soeurs en avant-garde, au plus près de la frontière, sous la protection du capitaine Konsbruck, aide de camp du prince Félix.

"Il avait été convenu que le prince Jean attende dans la maison du directeur général de l’usine sidérurgique de Rodange, juste à la frontière franco-luxembourgeoise. La grande-duchesse comptait y rejoindre ses enfants avant de passer en France avec eux. Nul n’avait imaginé que le propriétaire des lieux était parti en vacances. Il ne restait plus au prince Jean qu’à gagner directement la France."
Seulement, la route est barrée par des Allemands qui se sont posés à la frontière avec des avions légers. Le grand-duc héritier et sa suite font demi tour. Konsbruck téléphone au palais, les Allemands y sont déjà. Nouvelle tentative vers la frontière, par un autre axe. "Ils sont tombés de nouveau sur des Allemands et ils ont forcé le barrage en accélérant."
Le grand-duc héritier retrouve finalement ses parents en France, avant de partir avec eux pour le Portugal. "Le prince Félix avait rencontré le président Roosevelt en 1939. Le chef de l’État américain a envoyé le croiseur U.S.S. Trenton au Portugal pour permettre le départ de la famille grand-ducale. Le prince Félix et les enfants ont gagné les États-Unis tandis que la grande-duchesse et son gouvernement sont d’abord allés à Londres pour marquer que le Luxembourg sortait de sa neutralité pour devenir un pays belligérant, engagé au côté des alliés."

La famille grand-ducale s’installe un temps au Québec où le prince Jean suit les cours de l’université Laval tout en multipliant les missions et en participant à des émissions de radio destinées aux Luxembourgeois de l’étranger. Jusqu’en octobre 1942, où l’héritier du trône et son père rallient l’Angleterre pour s’engager dans les forces armées.
Engagé dans l'armée britannique aux côtés des Irish Guards, Jean de Luxembourg participe au Débarquement
Jean ira dans les Irish Guards, l’un des régiments de la maison royale britannique, ce qui semble tout indiqué pour un futur souverain. Avant de rejoindre son unité, le grand-duc héritier passe par le circuit classique, de l’instruction comme recrue, à l’école d’officiers de Sandhurst, délocalisée à la caserne d’Aldershot, près de Londres.
"La formation était extrêmement exigeante, les élèves étaient cantonnés par trente dans des petits préfabriqués en tôle. Plutôt spartiate. Ensuite, le prince a été affecté au 3e bataillon des Irish Guards, à Malton, où il a commencé aussitôt à être préparé à l’invasion. À l’issue du Débarquement, qui a donc eu lieu pour lui le 11 juin 1944, il a été détaché à l’état-major de la 32e brigade de la Guards Armoured Division, comme officier de liaison. Il a participé à ce poste à la bataille de Caen qui a duré deux mois."

Suit le passage de la Seine. Puis la libération du Luxembourg. "Officier à la 2e D.B., le prince Félix a été prévenu de l’entrée imminente des alliés sur le territoire du grand-duché. Il a averti son fils et tous deux ont rejoint la 5th Armoured Division américaine à Pétange, en territoire luxembourgeois pour y attendre l’attaque sur la capitale. La première nuit sous la tente, sur le sol de la patrie, fut très émouvante pour le grand-duc Jean. Et la libération de Luxembourg elle-même reste un des grands moments de sa vie. Ce 10 septembre 1944, alors que les Allemands venaient d’évacuer, ses concitoyens l’ont porté en triomphe à travers la ville. C’était partout une joie indescriptible, une merveilleuse folie collective et contagieuse. Toutes les barrières semblaient être tombées d’un coup."
Bientôt, le grand-duc Jean retrouve son unité. Il participera aux combats dans la région d’Aix-la-Chapelle. Sa division sera ensuite positionnée derrière la Meuse pour stopper la percée allemande vers Anvers, lors de la bataille des Ardennes. Rentré à Luxembourg le 14 avril 1945 pour assister au retour de la grande-duchesse Charlotte, il a le bonheur de vivre l’armistice dans sa patrie.

Comme tant d’autres, même s’il n’en parle pas, la guerre l’a marqué à jamais. "Après son abdication, en 2000, le grand-duc Jean est allé à titre privé, presque en secret, faire le tour des cimetières du Débarquement et rendre hommage à ses camarades tombés pour la libération de l’Europe. Le grand duc Jean est un homme réservé à l’extrême, plein de pudeur. Soldat dans l’âme. Il n’a commencé à me parler de la guerre, des Irish Guards, du Débarquement, qu’à partir de 1984, au moment où il a été nommé par Élisabeth II général de l’armée britannique et colonel honoraire de son ancien régiment", se souvient le colonel Franz, un honneur normalement réservé aux Windsor.
Son histoire d'amour avec Joséphine-Charlotte de Belgique est parfaite sur le plan politique
Au lendemain de la Libération, la popularité du grand-duc héritier et de ses parents est à son zénith. Pour mieux conjurer les années d’exil, ils sillonnent les régions du pays marquées par la guerre. À 26 ans, l’héritier du trône voit le Luxembourg acquérir une nouvelle dimension internationale grâce à son association avec la Belgique et les Pays-Bas dans le cadre du Benelux. Viennent ensuite l’abandon de la neutralité, l’adhésion à l’Otan et les prémices de l’Union européenne.
Mais la mutation du Luxembourg n’est plus seule à occuper l’esprit du jeune prince. À 30 ans passés, il est toujours célibataire. Personne n’a pris garde aux visites du tout nouveau roi Baudouin de Belgique, accompagné de son frère et de sa soeur, à la Tour Sarrazine, le domaine que vient d’acquérir la grande duchesse Charlotte, à Cabasson, pour les vacances d’été.
Loin des regards, Joséphine-Charlotte de Belgique et Jean de Luxembourg apprennent à se connaître. Et, le 7 novembre 1952, le palais grand-ducal annonce leurs fiançailles. Union parfaite sur le plan politique, venue incarner dans la dynastie luxembourgeoise le jeune Benelux. Nassau, comme les souverains des Pays-Bas, le grand-duc héritier s’allie désormais devant Dieu et les hommes avec la famille royale belge.
L’amour se conjugue-t-il avec la raison d’État? Il saura éclore et se construire, en tout cas, au sein du couple princier. Même si au jour de son mariage, Joséphine-Charlotte, si timide en public, est d’une pâleur terrible, submergée d’émotion. Il faut dire que l’événement est...
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