Archives. L'avènement du grand-duc Henri de Luxembourg

Il y a 20 ans, le samedi 7 octobre 2000, le grand-duc Jean abandonnait le trône à son fils Henri. Après trente-six années à la tête de la nation. Un passage de témoin solennel et accompagné par l'émotion de tout un peuple. 

Par Antoine Michelland - 07 octobre 2020, 15h59

 Le grand-duc Henri prête serment et jure "d'observer la Constitution et les lois du Grand-Duché de Luxembourg" le 7 octobre 2000.
Le grand-duc Henri prête serment et jure "d'observer la Constitution et les lois du Grand-Duché de Luxembourg" le 7 octobre 2000. © Reuter Raymond/Sygma via Getty Images

Il s'est assis, a chaussé ses lunettes. Sans hâte. Il lit maintenant le peu de lignes qui courent sur la feuille que vient de lui remettre le Premier ministre Jean-Claude Junker: "Nous Jean, par la grâce de Dieu, grand-duc de Luxembourg, duc de Nassau... renonçons à la Couronne du grand-duché de Luxembourg en faveur de Notre Fils bien-aimé, le grand-duc héritier Henri." Une seconde, le stylo reste en l'air, au seuil de la salle des fêtes du palais chacun retient son souffle. Puis le paraphe souverain une dernière fois est apposé.

Il est dix heures trente, ce 7 octobre 2000. Celui qui désormais n'est plus chef de l'État se lève et donne l'accolade à son successeur. Père et fils échangent quelques mots, pour eux seuls malgré la présence du roi et de la reine des Belges, de la reine Beatrix des Pays-Bas, des membres du gouvernement et de la Chambre. Le ton est donné d'une émotion plus forte que tous les protocoles et omniprésente au fil de la journée.

Un pays tout entier en liesse 

Déjà la veille, vendredi, le Grand-Duché vibrait à l'approche de l'événement, vitrines des magasins et fenêtres des maisons étaient pavoisées aux couleurs nationales –trois bandes horizontales bleu, blanc, rouge– ou à celles de la dynastie, orange et bleu, partout surgissaient des portraits de Jean et de Henri, en couple ou en famille, en uniforme ou en tenue plus décontractée, photos ou palets commémoratifs en chocolat. Les grandes surfaces étaient prises d'assaut par une foule soucieuse de réserver son samedi au suivi des cérémonies.

À dix-neuf heures, les rues étaient désertes et les postes de télévision allumés pour écouter et voir le souverain faire son discours d'adieu. Le bilan d'un règne de trente-six ans, d'une vie entière, des phrases où percent l'amour d'un homme, bientôt octogénaire, pour ses concitoyens et aussi l'espoir après  le terrible accident de voiture dont  a été victime son plus jeune fils, Guillaume, voici presqu’un mois.

"Aujourd'hui, la Grande-Duchesse ne peut pas être à mes côtés. Demain elle sera avec nous, puisque nous avons obtenu de bonnes nouvelles en ce qui concerne le prince Guillaume. Ceci nous réjouit tout particulièrement. Aussi la journée de demain pourra-t-elle être plus joyeuse."

C'est en tout cas une population fervente qui se presse au matin du samedi devant le palais grand-ducal en attendant la sortie à pied des souverains, l'ancien et le nouveau. Voici Jean et Joséphine-Charlotte, longuement applaudis. Un ordre claque, la garde d'honneur présente les armes, le couple salue le drapeau. Et se dirige vers la Chambre des députés, contiguë, où vont se tenir la prestation de serment constitutionnelle et le discours du trône. 

Un peu nerveux, Henri peut compter sur le soutien de sa famille

Voici maintenant Henri, clôturant le cortège au bras de son épouse, habillée par Oscar de la Renta pour la maison Balmain. Le sixième grand-duc de la dynastie gravit à son tour les escaliers de l'Assemblée nationale et va s'asseoir sur le trône au-dessus duquel s'inscrit déjà le H couronné de son monogramme.

Le grand-duc Henri, son épouse la grande-duchesse Maria-Teresa et leurs cinq enfants à l'Assemblée nationale après la prestation de serment du nouveau souverain. © Uli Deck/picture alliance via Getty Images
Le grand-duc Henri, son épouse la grande-duchesse Maria-Teresa et leurs cinq enfants à l'Assemblée nationale après la prestation de serment du nouveau souverain. © Uli Deck/picture alliance via Getty Images

D'un tintement de cloche, le président de la Chambre, Jean Spautz, déclare la séance ouverte avant de recevoir le serment d'un prince si nerveux qu'il en avale un peu ses mots en jurant "d'observer la Constitution et les lois du Grand-Duché de Luxembourg"... Henri se ressaisit aussitôt, lors de son allocution.

"En ce jour particulier, je tiens à remercier mon père, par la volonté duquel j'assure aujourd'hui la souveraineté sur le pays, et ma mère, qui m'a transmis le sens du travail bien fait, pour leur confiance..." Le grand-duc Jean s'illumine alors d'un sourire de tendresse et la Grande-Duchesse Joséphine-Charlotte offre à son époux une main qu'il presse doucement.

À l'heure de quitter la Chambre, les visages se détendent, Henri et Maria-Teresa s'amusent de l'application avec laquelle leurs deux plus jeunes enfants signent le livre d'or. Surtout Sébastien, huit ans, qui, toute réflexion faite, s'en va gravement ajouter l'accent sur le é de son prénom. Dehors, les Luxembourgeois crient les "Vive" tout court et spécifiques au Grand-Duché tandis que, dans le lointain, le tonnerre d'une salve de cent un coups de canon se mêle au carillon de la cathédrale. 

La famille grand-ducale à l'unisson au balcon du palais

Pour regagner le palais, les souverains et leurs hôtes royaux font un large détour qui leur permet de saluer et remercier leurs concitoyens. Maria-Teresa croule sous les fleurs offertes par des anonymes qui n'en sont pas pour elle.

Christophe Kieffer est venu dire adieu à Jean et encourager Henri. "Grâce à lui, la monarchie va suivre la même ligne mais avec une ouverture accrue, comme il le recommande." Marie-Paule Schwegn estime important d'assister à "un événement que je n'aurai peut être l'occasion de voir qu'une fois dans ma vie". Jeannine Linster, elle, se tourne vers le passé et l'époque où Jean, alors prince héritier, se battait aux côtés des Alliés. "Enfant, j'ai vécu la dernière guerre et la fa mille grand-ducale représente beaucoup pour moi." Un vieil homme passe, les yeux embrumés.

Soudain, tous les regards se lèvent dans la même direction. Sur le balcon du palais viennent d'apparaître Henri et Maria-Teresa. La foule commence d'applaudir. Elle ne cessera plus. Ce sont maintenant Jean et Joséphine Charlotte qui rejoignent leurs fils et belle fille. Puis les cinq enfants du nouveau couple régnant, et les souverains belges et la reine des Pays-Bas et enfin les princesses Marie-Astrid et Margaretha ainsi que le prince Jean, frère et soeurs de Henri.

Le grand-duc Jean et la grande-duchesse Joséphine Charlotte, le grand-duc et la grande-duchesse Henri de Luxembourg et les cinq enfants du nouveau couple régnant. © Uli Deck/picture alliance via Getty Images
Le grand-duc Jean et la grande-duchesse Joséphine Charlotte, le grand-duc et la grande-duchesse Henri de Luxembourg et les cinq enfants du nouveau couple régnant. © Uli Deck/picture alliance via Getty Images

Seul manque Guillaume. Les trois chefs d'Etat du Bénélux, réunis sur ces quelques mètres carrés, répondent aux acclamations. Avant que les uns et les autres se retirent dans l'ordre inverse de leur arrivée. Sauf les petits Alexandra et Sébastien qui continuent à agiter frénétiquement la main jusqu'à ce que Maria-Teresa et Henri les appellent en riant, à la grande joie d'une assistance qui communie pleinement avec sa famille grand ducale. La grande-duchesse le sent si bien que, foin du protocole, elle envoie un baiser à ses concitoyens à l'instant de regagner les salons officiels.

Un nouveau chef d'État est né

La journée n'est pas finie pour autant. Le temps d'un déjeuner privé au palais et les nouveaux souverains filent vers le cercle municipal rencontrer les corps constitués et les ambassadeurs accrédités près le grand-duché. L'occasion d'un autre parcours à pied et d'un lâcher de ballons tricolores. Promenade entre deux haies de Luxembourgeois, toujours, lorsqu'il s'agit d'aller à l'ancienne église jésuite du XVIIe siècle, devenue cathédrale au XIXe, où doit être célébré le service d'action de grâces en l'honneur de l'avènement.

À peine entrés sous la nef de Notre-Dame, Henri et Maria-Teresa entendent les premiers accents du Wilhelmus, l'hymne de la dynastie qui annonce en tout lieu le grand-duc, un air qui ne les quittera jamais. La lecture qu'ils ont voulue au centre de cette cérémonie religieuse, extraite du Livre des Rois, ressemble à une prière. Le jeune Salomon, fils de David, y supplie le Très Haut de lui donner "le discernement pour gouverner avec droiture". En somme, tout ce que peut désirer un chef d'Etat.

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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