Samedi 23 septembre 1972 après-midi. Dans le chœur de la minuscule chapelle St-Bennets de Greenhill Gardens, à Édimbourg, Miss Marion Gordon-Orr dit "oui" au prince Thibaut d’Orléans. L’office est célébré selon le rite catholique par le cardinal Gordon Gray, archevêque de St Andrews et d’Édimbourg.

Ni le comte ni la comtesse de Paris ne sont présents. De la famille de France, seule la princesse Claude a fait le voyage. Au terme de quatre années de fiançailles, Thibaut a pris la décision de passer outre, bravant l’autorité paternelle. Sans vraiment condamner le mariage de son plus jeune fils, le comte de Paris ne l’a pas formellement autorisé. Il lui a simplement déclaré en guise de bénédiction : "Vis bien ton aventure..."
"J’ai su qu’elle était la femme de ma vie "
Marion est née le 4 septembre 1942, à Santiago, d'une mère chilienne et d'un père issu de la bourgeoisie écossaise. Son enfance se déroule en Amérique du Sud où James Gordon-Orr est ingénieur civil. Elle a 11 ans lorsque la famille regagne l'Europe. Elle poursuit ses études secondaires à Édimbourg avant de venir à Paris suivre des cours de civilisation française. Le pays lui plaît, elle décide de s’y installer.
En 1967, le prince Thibaut – le dernier des "onze" – a 19 ans. Au cours d’une soirée à Neuilly, chez la princesse Melekper Toussoun, il rencontre par hasard la jeune Écossaise, un peu plus âgée que lui. Bien des années plus tard, il confiera dans une interview : "Dès le premier jour, j’ai su qu’elle était la femme de ma vie et qu’elle serait mon épouse..."
Le prince est mineur – la majorité était alors à 21 ans –, et ses parents sont persuadés qu’il s’agit là d’une amourette d’étudiant. Survient mai 1968. Thibaut est inscrit en droit à la faculté d’Assas. Sans participer directement aux événements, il observe de près cette grande mutation de la société française dont personne ne mesure encore l’importance. À l’époque, Marion, qui est assistante du président d’une société américaine, habite près du musée de Cluny. De ses fenêtres, elle assiste aux échauffourées entre étudiants et CRS.
Thibaut n’a pas une vocation de juriste. Un jour, Marion lui prête l’ouvrage de Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques. Il se découvre ainsi une attirance pour les sciences humaines. Au grand dépit du comte de Paris, et de front avec ses études de droit, il décide de suivre des cours d’ethnologie. Il apprend l’arabe et, bientôt, il s’installe quatre mois en Mauritanie pour préparer une thèse sur les tribus nomades.
Thibaut passe plus d'un an en prison
Les années passent et l’amour de Thibaut et de Marion, loin de s’éteindre, paraît se fortifier. Le chef de la Maison de France temporise, réserve sa réponse. En 1972, le jeune prince ne veut plus attendre. Le faire-part du mariage est publié dans les journaux. On assure que c’est de la sorte que le comte de Paris a appris la nouvelle. La réaction de ce dernier est ferme, sans être définitive : "Le comte de Paris n’a pas à être 'pour' ou 'contre' le mariage de son fils dans la mesure où celui-ci est majeur et a le droit de se marier comme il l’entend..."

Quatre années plus tard, l’attitude du prince évoluera. À l’occasion d’une grave maladie de Thibaut, contractée en Amérique du Sud, il se rapproche de lui. Le mariage s’est révélé une réussite. En signe de réconciliation, il concède à Thibaut et à Marion les titres de comte et de comtesse de la Marche.

Le couple publie une saga historique, qui connaît un certain succès d'édition. Ils sont moins heureux lorsqu'ils ouvrent une galerie d'art, rue de Nesle, qui fait faillite. Le 6 septembre 1976, voit le jour un premier garçon, prénommé Robert – le prénom du grand-père du comte de Paris, le duc de Chartres, et du roi d’Écosse, Robert Bruce ! Trois années plus tard naît un second fils. Marion et Thibaut lui donnent le prénom prestigieux de Louis-Philippe, jamais porté depuis le roi des Français. Ils perdent leur bébé alors qu’il n'a que quelques mois.

Impliqué ensuite dans une sombre histoire de vol de tableaux, Thibaut est écroué durant 14 mois de détention préventive à Tarbes, avant d'être condamné à un an avec sursis. Deux ans plus tard, le 23 mars 1983, il trouve la mort en pleine brousse centrafricaine, à 700 kilomètres de Bangui, dans des conditions qui demeurent obscures. Il n’avait que 35 ans.
"Il a vécu comme un chevalier d'autrefois"
Le comte et la comtesse de la Marche ont connu à peine plus de dix années d’un bonheur intense, d’une complicité de tous les instants. Un bonheur éphémère mais Marion ne s’abandonne pas au désespoir : "J’aurais pu me sentir coupable, me répéter que je n’aurais jamais dû le laisser partir. Mais j’avais été tellement heureuse avec Thibaut que je n’ai jamais eu ce sentiment. Il était drôle et intelligent, très humain et plein de charme. Il a vécu comme un chevalier d’autrefois..."
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Dans l’adversité, Marion décide de se battre et de se consacrer à l’éducation de son fils Robert, alors âgé de 6 ans. "Je n’ai pas voulu m’apitoyer sur mes propres malheurs. Chacun a son destin, il faut le vivre. Je pense que dans l’existence, confronté aux expériences les plus épouvantables, on peut toujours lutter, trouver des solutions, faire en sorte de s’en sortir. Devant la mort seulement, on se retrouve totalement désarmé." Heureusement, elle peut compter sur de fidèles amis. Elle s’installe avec son fils dans une maison de Thoiry, appartenant au vicomte de La Panouse, parrain de Robert. Le comte et la comtesse de Paris, très touchés par la tragique disparition de Thibaut, reportent leur tendresse sur leur petit-fils, qui a tant besoin de leur soutien.
Jusqu’à l’âge de 10 ans, Robert fréquente l'école primaire du lycée international de Saint-Germain-en-Laye, puis la prestigieuse école des Roches, en Normandie. Il poursuit ses études en Angleterre, avant d’effectuer son service militaire au 7e bataillon des Chasseurs alpins. De 1998 à 2002, il suit un cursus d’Études asiatiques à l’université de Sheffield, où il apprend le mandarin, ce qui lui permettra de travailler comme administrateur au sein d’écoles britanniques en Chine et en Asie centrale.
En 1999, lorsque le nouveau comte de Paris – "Henri VII" – devient chef de la maison de France, il reconnaît rétroactivement le mariage de son frère, et rétablit son neveu Robert dans ses droits dynastiques, avec le titre de comte de la Marche. Selon la logique capétienne, celui-ci pourrait être un jour investi duc de Berry ou de Bourgogne. Prince discret et globe-trotter, il reste à ce jour le dernier petit-fils célibataire des défunts comte et comtesse de Paris, avec son cousin Foulques, fils de Jacques d’Orléans.

Quant à Marion, elle continue de cultiver la discrétion. Vivant désormais près de Dinard, en Bretagne, elle n’apparaît que ponctuellement à la faveur d’événements familiaux. C'est là que son fils Robert, qui vit en Espagne, est venu fêter avec elle et une dizaine d'amis son 80e anniversaire. Il lui a offert un petit chêne, signe de longévité.
Si Marion est restée fière de son titre de princesse, ce n’est en aucun cas pour elle-même, mais à travers son fils, comme elle l’expliquait dans une interview à Point de Vue : "Il sait qui il est. Chez Robert, c’est naturel, inné. Je lui ai appris que la vraie noblesse était celle du cœur. Mais dans ses veines coule le sang de son père et de ses aïeux."