Comment est né ce projet de documentaire ?
Augustin Viatte : Les livres consacrés à d’Artagnan par l’historienne Odile Bordaz, dont un aïeul est né dans le même village que le mousquetaire, en sont le point de départ. Selon elle, le vrai d’Artagnan est tout aussi fascinant que son double romanesque. Un credo partagé par l’historien Jean-Christian Petitfils, qui a aussi participé activement au documentaire.
Comment avez-vous travaillé ?
Je me suis appuyé sur leurs recherches mais aussi sur la dimension populaire du héros et la place occupée dans l’imaginaire collectif. C’est le seul personnage historique français aussi connu que Napoléon ou Jeanne d’Arc qui doive sa notoriété à son double fictionnel. Il fallait décrypter tout ce jeu de miroirs entre réalité historique et imaginaire, en restant proche du mythe.

Et dès le début du cinéma ! Cela n’a jamais cessé depuis, avec un âge d’or se situant dans les années 1950 et 1960. La dernière superproduction remonte à 2011, Les Trois mousquetaires d’Anderson, pyrotechnique, totalement fantaisiste, mais grand spectacle. C’est la force de Dumas : avoir laissé un matériau de fiction susceptible d’inspirer aujourd’hui un film de super-héros. La plupart prennent des libertés avec son œuvre.
Le documentaire a des allures d’enquête policière : de sa demeure familiale gersoise aux Pays-Bas, où il est mort, en passant par pléthore de musées et bibliothèques, vous semblez avoir remonté toutes ses traces en compagnie des historiens...
Nous sommes en effet allés à peu près partout, à part à Lille dont il a été le gouverneur à la fin de sa vie, et les champs de bataille qui n’auraient pas présenté d’intérêt. Dans ce jeu d’allers-retours entre le roman et la vérité historique, les deux pistes sont très parallèles au départ : la jeunesse gasconne, l’aspiration à sortir de la misère campagnarde en montant à Paris pour intégrer les armées du roi, les années de formation chez les cadets, le prestige de devenir mousquetaire : toute la première partie du roman est fidèle à ce qu’a dû être la vie de d’Artagnan. La bascule s’opère ensuite, avec la mort de Louis XIII, la régence d’Anne d’Autriche et le rôle de Mazarin. Dumas triche alors avec la chronologie, car d’Artagnan n’a pas pu participer à l’affaire des ferrets de la reine : en 1625, il n’a pas encore quitté la Gascogne. Mais il rattrape ce décalage dans Vingt ans après, avec la Fronde et l’arrestation de Fouquet.
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Comment Dumas a-t-il découvert d’Artagnan ?
De retour d’Italie à l’été 1843, il s’arrête à Marseille dont la bibliothèque est dirigée par l’un de ses amis. Dans les rayons, il tombe sur les pseudo Mémoires de Monsieur d’Artagnan. Il les parcourt, les emprunte et ne les rendra jamais. Paru en 1700, vingt-sept ans après sa mort, cet ouvrage est déjà une version très romancée de la vraie vie de d’Artagnan. L’auteur, Courtilz de Sandras, a été aussi mousquetaire. Bien que beaucoup plus jeune que d’Artagnan, sans doute l’a-t-il croisé. Il en fait un séducteur invétéré très éloigné de la vérité, mais distille en même temps de nombreux éléments qu’a retenus Dumas. À Paris, l’écrivain demande à l’un de ses collaborateurs de s’y plonger. Auguste Maquet confirme son intuition. Ensemble, ils rédigent Les Trois Mousquetaires, dont la parution en feuilleton en mars 1844 rencontre un succès immédiat inouï.
Quel a été le premier historien à s’intéresser au véritable d’Artagnan ?
Charles Samaran, futur directeur des Archives de France, a publié la première biographie sérieuse en 1912. Gersois, fasciné par ce héros régional, il a apporté notamment des précisions sur son village natal, Lupiac, sa demeure familiale et sa généalogie. Son père, Bertrand de Batz, était roturier, bien que seigneur de Castelmore ; sa mère, Françoise de Montesquiou d’Artagnan, appartenait à une grande famille qui avait eu ses entrées à la Cour, raison pour laquelle Louis XIII lui conseillera d’adopter son patronyme.
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La famille Montesquiou existe toujours, vous n’avez pas cherché à la rencontrer ?
Nous avions déjà beaucoup d’intervenants. Mais, chose amusante, elle possède une propriété à Villers-Cotterêts où a grandi Dumas... Les descendants de ce personnage rendu célèbre par le romancier habitent sa ville natale !
Quand Charles de Batz arrive-t-il à Paris ?
Il intègre les cadets en 1630. Trois ans plus tard seulement, il est devenu mousquetaire, preuve que ses qualités, notamment sa grande fidélité et son adresse à l’escrime, ont été remarquées.
Quel est son rôle sous la Fronde ?
Il joue les agents secrets pour Mazarin qui dirige le pays avec Anne d’Autriche. Lorsque le cardinal s’exile à Cologne, d’Artagnan l’escorte. Il fera ensuite la navette entre la France et l’Allemagne pour porter les missives secrètes. Resté fidèle au roi, qu’il côtoie dès son plus jeune âge, il l’accompagne dans sa fuite à Saint-Germain. La confiance que place Louis XIV en lui est un paramètre essentiel pour expliquer sa carrière. En 1661, c’est lui qu’il charge d’arrêter Fouquet et de lui servir de geôlier. Deux ans plus tôt, il a signé son contrat de mariage avec Anne-Charlotte de Chanlecy, preuve de l’incroyable ascension sociale de ce petit Gascon. En 1667, la charge très honorifique de capitaine-lieutenant de la compagnie des mousquetaires lui offre la consécration.
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Vous évoquez sa mort au siège de Maastricht, en 1673, pendant la guerre de Hollande, et le fait qu’on ignore le lieu de sa sépulture...
Odile Bordaz a cherché dans tous les registres de Paris et de Gascogne. En vain. L’étude des cartes du Service historique de la Défense et sa connaissance des usages militaires l’ont convaincue qu’il avait dû être enterré au plus proche du campement de Louis XIV, sans doute sous l’actuelle église de Wolder. Mais des fouilles n’y sont pas envisageables. Cette zone d’ombre comme d’autres, sa date de naissance et son physique notamment, contribuent au mystère qui perdure autour de d’Artagnan.
Cette enquête a-t-elle modifié l’image que vous aviez du mousquetaire ?
Il y a chez lui une austérité, liée au prestige de sa fonction et à son abnégation, très éloignée du héros insouciant et séduisant de Dumas. Sa destinée a été remarquable mais aussi exigeante et âpre : une vie de militaire dévouée au roi et à son devoir.
La véritable histoire de d'Artagnan, samedi 10 avril 2021, à 20h50, sur Arte.
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