Catherine Hyams, une espionne au service de Marie-Antoinette

Dans Mémoires d’une espionne de Marie-Antoinette*, Catherine Hyams raconte ses activités rocambolesques au service de la dernière reine de France. Chefs d’orchestre de cette nouvelle édition, Antoine de Baecque et Baptiste Roger-Lacan analysent ce récit singulier qui flirte avec la réalité.

Par Ayrton Morice - 11 février 2021, 07h15

 Dernière reine de France, Marie-Antoinette entretient une véritable correspondance avec ses espions dont fait partie Catherine Hyams.
Dernière reine de France, Marie-Antoinette entretient une véritable correspondance avec ses espions dont fait partie Catherine Hyams. © akg-images / WHA / World History Archive

De Catherine Hyams, l’histoire n’aura conservé que des souvenirs sibyllins. Le genre de mystère historique qu’il est fascinant d’explorer. Amie de cour de la princesse de Lamballe – dont elle écrira qu’elle était "la seule femme qui n’ait point de fiel dans le cœur. Chez elle, point de haine, point de jalousie, point d’ambition que celle de contribuer au bien-être et au bonheur de ces semblables" –, et espionne au service de Marie-Antoinette, elle fut, selon ses dires, sa confidente et ultime fidèle.

Il n’en fallait pas plus à Antoine de Baecque et Baptiste Roger-Lacan, préfaciers de la nouvelle édition parue aux éditions du Mercure de France, pour s’intéresser à ce personnage intriguant. Tout est obscur dans l’existence de cette femme, de son origine incertaine – aristocrate anglaise devenue marquise italienne – à l’authenticité de sa plume, en passant par les intrigues de cour enjolivées à loisir dans ses chroniques.

Portrait d’Edward Hyde, 1er comte de Clarendon. À en croire les mémoires de Catherine Hyams, ce serait l’un de ses ancêtres.  © Heritage Images / Fine Art Images / akg-images
Portrait d’Edward Hyde, 1er comte de Clarendon. À en croire les mémoires de Catherine Hyams, ce serait l’un de ses ancêtres.© Heritage Images / Fine Art Images / akg-images

Qu’importe, la seule mission qui incombe à cette mémorialiste est bien de transmettre ; que la postérité n’oublie pas les plaies engendrées par les drames révolutionnaires, et les jugements injustes : "Si les mœurs du temps eussent été les siennes; si elle eut été favorisée par les circonstances, Marie-Antoinette serait devenue, loin des intrigues de la cour, le modèle de son sexe et de son siècle." L’un des principaux problèmes de ce récit est l’identité même de Catherine Hyams. Qui était-elle vraiment ? D’où venait-elle ? Il y a peu d’informations sur ses antécédents autres que ce qu’elle raconte elle-même. Ses mémoires posthumes, ses ouvrages publiés et ses lettres composent l’ensemble d’un récit dans lequel elle s’autorise toutes les libertés.

Sa vie est un mélange de faits avérés et de récits inventés

Hyams décrit son père, George Augustus Hyde, comme le fils naturel de lord Hyde Clarendon et d’une princesse polonaise. Élevé sur le continent, George Augustus Hyde aurait courtisé Isabella, comtesse Branicki, et sœur mariée de Stanislas Poniatowski, le futur roi de Pologne.

Enceinte de George avant même d’obtenir le divorce, cette dame se serait rendue discrètement en Angleterre, en 1755, où allait naître la petite Catherine. Rappelée en Pologne, la mère abandonne alors son enfant aux soins de Hyde. Hélas, les deux parents de Catherine disparaissent alors que cette dernière est encore au berceau. La future espionne prend alors le patronyme de ses protecteurs, de riches amis de la famille : les Hyams. Vérité ? Fantaisie ? Impossible de s’en assurer... Les événements de sa vie semblent être un mélange de faits et de fictions, mosaïque habile créée pour enrichir ses mémoires.

Marie Thérèse Louise de Savoie-Carignan, la princesse de Lamballe, a 26 ans lorsque Marie-Antoinette la nomme "surintendante de la Maison de la reine". Favorite, elle est sa plus fidèle amie. Elle sera mise à mort le 3 septembre 1792. © Heritage-Images / Art Media / akg-images
Marie Thérèse Louise de Savoie-Carignan, la princesse de Lamballe, a 26 ans lorsque Marie-Antoinette la nomme "surintendante de la Maison de la reine". Favorite, elle est sa plus fidèle amie. Elle sera mise à mort le 3 septembre 1792. © Heritage-Images / Art Media / akg-images

Envoyée à l’âge de 11 ans à Paris par ses mécènes, Catherine embrasse la foi catholique entre les quatre murs du couvent où elle est éduquée, et que visite la Dauphine. Douée pour la musique, l’adolescente attire l’attention de Marie-Antoinette et de sa confidente et amie, la princesse Lamballe, dont elle devient la demoiselle d’honneur. Quel meilleur témoignage retenir de Marie-Antoinette que celui d’une fidèle amie ? Le récit d’une espionne, et intime, qui évoque les complots et autres jeux de pouvoir.

Des frémissements de Versailles aux messages codés, il n’y a qu’un pas que Catherine n’hésite pas à franchir ! Mais jusqu’à quel point peut-on faire confiance à l’ingénieuse auteure ? La mémorialiste dresse le tableau d’un siècle déjà à l’agonie et épingle les excès de la Cour : les faiblesses d’un Louis XV vieillissant et d’un Louis XVI maladroit et naïf. Tout n’est pas rose, loin de là, au hameau de la reine... Au fil de son récit, l’auteure distille quelques anecdotes sur son rôle d’agent secret au service de la souveraine. La sulfureuse Catherine a-t-elle été, pour autant, l’espionne qu’elle prétend ?

Catherine multiplie les missions au service de la reine

La Cour est un milieu hostile, où seul le roi émerge comme une figure aimable : "N’oublions pas que Louis XVI vivait à une époque de difficultés sans exemple : c’était un agneau qui régnait sur ses tigres (...) De tous les rois, il est peut-être celui qui fut le plus mal jugé, le moins bien connu, surtout de ses contemporains. Il périt victime d’une timidité qui lui était naturelle." Et dans cette ambiance fiévreuse de fin de règne, la reine apparaît comme une authentique personnalité politique.

Le "témoignage" de Catherine a le mérite d’offrir le portrait d’une autre Marie-Antoinette, bien éloigné des clichés de la reine légère et frivole ou de la souveraine martyre. L’espionne, à l’inverse de nombre de courtisans, se montre toutefois lucide sur les qualités de la reine : "Marie-Antoinette, à la vérité, ne possède point de talents extraordinaires; mais au moyen d’une longue expérience pratique, elle juge parfaitement les circonstances, et sait en tirer parti, malgré les difficultés qu’elles présentent, avec tant de sang-froid et d’adresse." 

L'occasion de découvrir une Marie-Antoinette intime et politique. © Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images
L'occasion de découvrir uneMarie-Antoinetteintime et politique.© Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Réagissant aux événements, multipliant les avis, les ordres et contre-ordres, l’épouse de Louis XVI aurait entretenu une importante correspondance, souvent codée. Une diplomatie parallèle qui nécessitait un solide réseau d’espionnage, occupé à sonder l’opinion, se renseigner sur les activités des courtisans, ou bien faire parvenir des messages hors du palais. Car, toujours selon la mémorialiste, Marie-Antoinette veut absolument tout savoir !

Manipulatrice, elle a le goût du secret et des grandes entreprises de surveillance. Consciente que "savoir, c’est diriger", la reine est avide d’informations et rassemble des renseignements venus de tous horizons, grâce à l’effort de ses agents et relais politique, tels Mirabeau, Barnave, La Fayette ou Dumouriez qui jouent parfois double jeu. Catherine se présente comme une pièce maîtresse de ce dispositif. Tout autant informatrice qu’agent de liaison, elle multiplie les missions au service de sa majesté : en dressant des rapports, en faisant état de certains événements et en coordonnant les efforts des correspondants entre Paris, Londres, Milan et Turin.

Le tableau d’une fin du XVIIIe siècle plein de bruit et de fureur

Évoluant dans les cercles exaltés de la France pré-révolutionnaire, et forcément bien informée, la prudente Catherine fuit le royaume quand éclatent les évènements de 1789. Réfugiée en Italie, elle fait la connaissance d’un gentilhomme vénitien, le marquis Antonio Solari, qu’elle épouse avant de le quitter, à la suite d’un revers de fortune. Elle parcourt alors la Sicile et l’archipel grec ionien. En 1814, l’aventurière vieillissante retourne, seule, en Angleterre. Dans la nécessité, elle entreprend alors d’écrire ses mémoires sur la base de ses premières expériences au sein des cours européennes. Réelles ou fantaisistes... Grossit-elle le trait pour satisfaire ses lecteurs ? Probablement.

Dans le langage fleuri et suranné de l’époque, son récit est émaillé d’anecdotes. La narration, chronologique, ne trébuche jamais : la princesse de Lamballe est bien présentée à la cour en 1767, la petite archiduchesse d’Autriche, épouse le Dauphin en 1770... Autant de repères qui donnent de la véracité. Puis la dame de compagnie, et agent de liaison, se fait analyste, notamment des événements de 1789. 

Elle brosse à grands traits...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

Marie-Antoinette

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