Trahisons, scandales : le courage de Sophie d'Espagne

Les affaires financières auxquelles son époux Juan Carlos est mêlé continuent de charrier leur lot de révélations quotidiennes. Et remettent en cause le statut du roi actuel. De tous les membres de sa famille, la mère de Felipe VI demeure la plus plébiscitée. La reine émérite embrasse son destin comme jamais.

Par Fanny del Volta - 27 janvier 2021, 07h30

 Le roi Juan Carlos a déclaré un jour que son épouse était "une grande professionnelle". Plus encore, la souveraine est la dévotion même envers la Couronne.
Le roi Juan Carlos a déclaré un jour que son épouse était "une grande professionnelle". Plus encore, la souveraine est la dévotion même envers la Couronne. © Dusko Despotovic

Avec l’abdication de son mari Juan Carlos Ier, le 18 juin 2014, les Espagnols s’attendaient à ce que la reine Sophie disparaisse peu à peu du paysage médiatique. C’est l’inverse qui se produit. La voici plus libre de répondre à ses obligations, et avec la même ferveur, comme si rien n’avait jamais changé.

Le roi émérite fait chaque semaine les gros titres depuis la révélation de son argent caché en Suisse. Mais l’agenda de Sophie d’Espagne ne cesse de se remplir depuis le début de la pandémie de la Covid-19.

Au chevet de l'Espagne 

Si la lutte contre les addictions est le combat historique mené par sa fondation, cette organisation multiplie à présent les initiatives pour venir en aide aux personnes durement frappées par la crise sanitaire. Elle vient de lancer "l’opération froid" pour doter les banques alimentaires d’appareils réfrigérants.

Les projets culturels sont aussi soutenus. Militant pour la diffusion de la musique classique dans les milieux défavorisés, la reine émérite a assisté en décembre au premier concert de l’orchestre Ecoembes, une formation d’enfants mélomanes dont les familles ne peuvent supporter le coût de l’apprentissage d’un instrument.

Cette implication de tous les instants vaut à Sophie d’Espagne une ovation interminable lors de son apparition à l’auditorium de Madrid, le jour de son anniversaire, alors qu’elle préside un concert au bénéfice des Jeunesses musicales.

Depuis le début de la pandémie la reine Sophie redouble d'efforts pour apporter son aide à la société espagnole. Ici au siège de la Banque Alimentaire le 20 novembre 2020. © Efe/AbacaDepuis le début de la pandémie la reine Sophie redouble d'efforts pour apporter son aide à la société espagnole. Ici au siège de la Banque Alimentaire le 20 novembre 2020. © Efe/Abaca

Au même moment, la presse révèle pourtant qu’une nouvelle enquête est en cours sur l’utilisation par Juan Carlos Ier de cartes de crédit au nom d’un ami milliardaire. L’argent dépensé aurait dû faire l’objet d’une déclaration au fisc. Afin d’éviter toute poursuite judiciaire dans cette affaire, le roi en exil à Abou Dabi finira par régulariser sa situation, faisant ainsi l’aveu de sa culpabilité.

Chaque rebondissement dans les scandales impliquant Juan Carlos est un coup porté à son fils Felipe VI. Malgré ses discours rappelant la transparence dont il a toujours fait preuve et les distances qu’il a mises entre son père et lui, le souverain actuel traverse une mauvaise passe face à des Espagnols en colère, épuisés par la crise, et aux partis anti-systèmes réclamant régulièrement un référendum en vue de rétablir une république.

Dans ce contexte, la reine Sophie est le membre de la famille royale à bénéficier de la sympathie de tous les Espagnols. En choisissant de ne pas suivre son mari en exil, elle démontre une nouvelle fois sa loyauté envers ce pays qui est devenu le sien lorsqu’elle a épousé Juan Carlos.

Sophie et Juan Carlos, une union sous le signe du devoir

En 1962, le mariage entre le fils des comtes de Barcelone et la fille des rois de Grèce représente un espoir pour les monarchies déchues. Sophie ne soupçonne pas à quel point cette alliance va lui offrir ce destin pour lequel elle est faite depuis toujours.

Les jeunes époux ont tous deux connu l’exil. Mais à la différence de Juan Carlos, Sophie est née dans son pays. Malgré les soubresauts de l’Histoire, elle a vu son oncle, Georges II, puis son père Paul Ier régner. Son enfance et son adolescence se sont construites autour d’un cocon familial heureux ayant pour décor Tatoï.

Au palais royal d’Athènes, la princesse de Grèce reçoit une éducation élitiste, sans sacrifier pour autant ses jeux avec son frère Constantin et sa sœur Irène. Tous trois sont complices. Ils aiment se déguiser, explorer la nature environnante. Leurs parents Federika et Paul forment un tandem parfait.

Le roi Paul I er de Grèce son fils Constantin, sa femme Federika et leurs filles Irène et Sophie. © Getty ImagesLe roi Paul I er de Grèce son fils Constantin, sa femme Federika et leurs filles Irène et Sophie. © Getty Images

Le roi est à l’époque populaire et d’un calme olympien. Son épouse est une femme dynamique, pleine d’initiatives. Elle n’hésite pas à prendre la relève de son époux lorsqu’une fièvre typhoïde le contraint à annuler ses engagements officiels.

Aucune sophistication dans cette vie au palais, mais des valeurs élevées. "Ma force est l’amour de mon peuple", aime à dire le roi Paul, enjoignant à chacun de ses enfants de s’approprier cette devise.

Sophie connaît sa première déchirure à 13 ans, lorsqu’il lui faut quitter la Grèce pour Salem, dans le Bade-Wurtemberg. Sa mère souhaite qu’elle reçoive une éducation internationale. Si elle a toujours préféré les habitudes acquises auprès des siens, l’enfant finit par apprécier la liberté qui lui est offerte alors. "C’était une vie sérieuse et joyeuse à la fois, une rencontre avec moi-même."

La princesse fait beaucoup de sport, pour se surpasser avant tout. Elle fait partie d’un chœur, découvre le scoutisme. Au bout de deux ans, ses parents lui laissent le choix : rentrer en Grèce ou rester à Salem. Pour trois années supplémentaires, cette fois, afin d’obtenir un diplôme.

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Sa peine est immense, mais Sophie préfère rentrer de crainte de devenir une étrangère dans son pays. "Mon nom ?" dira-t-elle plus tard à sa biographe Pilar Urbano. "Je n’ai pas de nom. Schleswig Holstein Sondenburg Glücksburg sont des lieux de mes origines allemandes et danoises. Mon nom est Grèce. Point." 

Dans le couple qu’elle forme avec le futur Juan Carlos d’Espagne, la question de l’identité est essentielle. Lors de leur rencontre, le fils du comte de Barcelone lui paraît dans un premier temps frivole et peu sérieux. Elle finit par comprendre ses fêlures, la solitude qui est la sienne depuis l’enfance et perçoit en lui un Ulysse moderne rêvant de conquérir Ithaque.

Un sens politique sous-estimé 

Grâce au soutien sans faille de Sophie, Juan Carlos parvient à gagner la Couronne. Elle lui révèle l’importance du contact avec le peuple. Ensemble, ils entreprennent alors un tour du pays. Dans les provinces les plus reculées, si la plupart des Espagnols ne leur sont pas hostiles, ils ignorent tout simplement qui sont ces jeunes princes. Leur tâche est colossale.

Avec Franco, le couple est également mis à l’épreuve. Carmen, l’épouse du dictateur, rêve de voir sa petite-fille et son gendre, Alphonse de Bourbon, accéder au trône. À aucun moment Sophie ne s’avoue vaincue. Douce et affable, elle n’en est pas moins fille de roi et possède un grand sens politique.

La reine a dû conjuguer avec le dictateur Franco et son épouse, Carmen, pendant de longues années pour assurer le trône d'Espagne à Juan Carlos et rendre possible la transition démocratique. © Gianni Ferrari/Getty ImagesLa reine a dû conjuguer avec le dictateur Franco et son épouse, Carmen, pendant de longues années pour assurer le trône d'Espagne à Juan Carlos et rendre possible la transition démocratique. © Gianni Ferrari/Getty Images

Avec Carmen Franco et son époux, elle entretient les liens en veillant à ce que son clan incarne la famille parfaite, respectueuse des valeurs édictées par le Caudillo. Souvent, la future reine d’Espagne s’interroge. Pour les Grecs, la monarchie et la démocratie étaient antinomiques. "Une monarchie constitutionnelle pouvait-elle être 'inventée' par mon mari ?" La réponse ne tarde pas.

En 1975, Juan Carlos devient roi et met en place la transition démocratique. Une période inspirante pour des générations d’Espagnols ayant souffert de la dictature. Sophie tient son rôle de reine consort à la perfection. Plus espagnole que jamais.

Elle se consacre aux plus vulnérables et nourrit de grandes ambitions pour transmettre au plus grand nombre son goût pour la musique classique, à travers le mécénat et la création de conservatoires.

L’éducation de son fils, futur roi d’Espagne, est une préoccupation de tous les instants. Elle fait en sorte de lui transmettre les valeurs qu’elle a reçues, de lui...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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