En Espagne, les mandats et brevets de prestige accordés aux grandes maisons au service de la Casa Real voient le jour au XVIIe siècle. Au XIXe siècle, sous le règne d’Isabelle II, il existe 83 "fournisseurs officiels" de la famille royale. Le chiffre explose sous Alphonse XII avec 142 maisons à travers tout le pays. Puis il passe à 96 sous la régence de Marie-Christine, et à 66 avec Alphonse XIII.
Après le retour de la monarchie, sous le règne de Juan Carlos Ier, la Zarzuela change d’attitude: à l’aube du XXIe siècle, une démocratie moderne comme l’Espagne ne peut adopter ce type de fonctionnement. Pas de cour, pas de fournisseurs brevetés et, à mesure que les années passent, une justification rigoureuse de la moindre dépense et le respect exemplaire des questions environnementales.
Aujourd’hui, les achats personnels de la famille royale ne sont jamais divulgués. Quant aux dépenses liées au fonctionnement de l’institution, elles font l’objet d’un appel d’offres systématique. D’anciens "fournisseurs de la cour" continuent toutefois d’utiliser l’écusson jadis accordé par la maison royale –un simple logo, gage de leur savoir-faire. Pour quelques-unes de ces enseignes, cette publicité est d’autant moins mensongère que la Zarzuela les sollicite encore de temps à autre, sans pour autant leur accorder le moindre monopole.
À la table du roi
Avec l’avènement de Felipe VI, une véritable révolution éco-responsable déferle sur la Zarzuela. Personne n’ignore aujourd’hui que la reine Letizia, par ailleurs ambassadrice de bonne volonté de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture auprès de la FAO, met un point d’honneur à consommer local, bio et de saison.
Et si la souveraine, mère de deux enfants, souhaite que les siens bénéficient d’une alimentation saine, elle n’hésite pas à mettre tout le monde au diapason. À la cantine de la Zarzuela, les collaborateurs de la famille royale bénéficient de menus inspirés des bons conseils du nutritionniste Nicholas Perricone. Suivis par de nombreuses stars, dont les actrices Eva Mendes ou encore Gwyneth Paltrow, ils favorisent la consommation de poissons gras plutôt que de viande, d’antioxydants sans restriction et bannissent le sucre.
En ouvrant sa boulangerie dans la petite ville de Rodeiro, en Galice, Manuel Ledo n’imaginait pas qu’elle deviendrait un jour si célèbre. Vénézuélien d’origine, l’artisan a suivi des recettes de pains traditionnels en misant sur des farines de qualité et une cuisson au four à bois. Le succès ne se dément plus depuis plusieurs décennies et continue d’apporter son lot de surprises.
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Une publication partagée par Panaderia Jesus (@panaderiajesus) le 26 Juil. 2019 à 4 :12 PDT
Un beau jour, le téléphone sonne. La Casa Real demande à être livrée de plusieurs pains. Ana Maria Ledo, la fille du fondateur de la maison, confie que, depuis quatorze ans, la boulangerie Jesús envoie chaque semaine entre cinq et sept pièces d’un kilo à la Zarzuela. La commande inclut parfois des chaussons au chorizo, des tartes aux amandes. Et des couronnes des rois pendant l’Épiphanie.
Le Grupo Norteños est l’un des fournisseurs habituels de la famille royale lorsque l’envie est à la dégustation d’une belle pièce de bœuf. Mais le plus souvent, à la table des Bourbons, le poisson est privilégié.
La Zarzuela a gardé de bonnes relations avec l’enseigne Pescaderias Coruñesas. Fondée en 1911, la maison était déjà le fournisseur d’Alphonse XIII. Elle a, par la suite, souvent répondu aux commandes du roi Juan Carlos, qui raffole de merlu, et de la reine Sophie, amatrice de bars et de soles.
La maison, qui revendique le meilleur poisson de Madrid, fournit par ailleurs de grands palaces madrilènes comme le Ritz. Norberto Garcia, le fils du fondateur, avait coutume de dire: "Nous ne pêchons pas les poissons, ils montent à bord de nos bateaux!"
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Une publication partagée par Frutas Vázquez Jr. (@frutasvazquezjr) le 6 Sept. 2019 à 12 :55 PDT
Et lorsque la production est insuffisante, les primeurs et autres magasins de vente en vrac, comme Frutas Vazquez ou Casa Ruiz, comblent les manques.
La décoration des grandes occasions
Pour les fleurs, la Zarzuela n’a pas de préférences. La décoration lors des événements officiels relève du Patrimoine national, en charge de la gestion des biens d’État. Le fleuriste madrilène Julio de la Cruz Gayo est souvent sollicité, mais régulièrement mis en concurrence avec d’autres enseignes.
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Une publication partagée par Flores Búcaro (@floresbucaro) le 7 Juin 2017 à 7 :12 PDT
Cette année, seules deux entreprises ont répondu à l’appel d’offres du Patrimoine national mais aucune n’a été sélectionnée pour remporter un marché de plus de 97.000 euros car elles ne présentaient pas les conditions requises.
Pour les événements à caractère privé, Búcaro Flores est l’une des maisons les plus prestigieuses de la haute société madrilène. Fondée dans les années 1970 par Isabel Pastega et son frère Pablo, fournisseur du Ritz, elle a fleuri le mariage de Letizia et Felipe ainsi que ceux de l’infante Elena, à Séville, et de la duchesse d’Albe.
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Une publication partagée par Pedro Durán (@pedroduran1886) le 6 Août 2017 à 12 :01 PDT
L’argenterie, elle, est l’affaire de la maison Dúran Joyeros. Fournisseur de la Casa Real dès 1899, celle-ci reste l’un des prestataires du Patrimoine national pour la restauration des œuvres conservées dans les résidences royales. Au palais d’Orient, à Madrid, plus de six cents pièces d’orfèvrerie proviennent de ses ateliers.Une cave d'exception
Dans son ouvrage Adiós, Princesa, paru en 2013, le cousin de la reine Letizia, David Rocasolano, dépeint en un paragraphe le lieu le plus magique de la Zarzuela: "Nous avons rejoint le sous-sol, où Letizia a ouvert une porte. Je pensais qu’enfin nous verrions une bibliothèque. Mais sous une lumière tamisée, je découvrais une cave à vin particulièrement immense. Dans ce labyrinthe où flottaient de nobles parfums, nous marchions sur du sable."
Au cours de cette visite privée à rendre jaloux plus d’un œnologue, le futur Felipe VI explique à son invité que du sable de l’Océan Indien, réputé maintenir une humidité parfaite, a été transporté dans cette cave qui recèle plusieurs milliers de bouteilles. Les étiquettes sont aussi variées que prestigieuses.
Les vins Codorníu, produits depuis des siècles par la famille Raventós i Domènech, sont une valeur sûre, déjà prisée par la reine Marie-Christine et le roi Alphonse XII. Le Gran Codorníu a arrosé le couronnement de Juan Carlos, en 1975. Il existe même une "réserve spéciale de SM le roi", à base de chardonnay et de pinot noir.
Le rioja des caves Marqués de Riscal, près desquelles l’architecte Frank Gehry a conçu un spectaculaire hôtel habillé de titane ondulé, propose également une "récolte royale". Certaines bouteilles étaient estampillées "Pour sa majesté le roi D. Juan Carlos", comme d’autres recevaient la mention "Son altesse royale le Comte de Barcelone".
En fin connaisseur, le jour de son abdication, Juan Carlos Ier a partagé avec son fils un Castillo Ygay 1925, une réserve spéciale des bodegas Marqués de Murrieta. Un fin du fin, composé à 49% de tempranillo, 19% de grenache, 17% de carignan noir et 15% de graciano.
Les créateurs qui habillent Letizia
Dès ses premiers pas sur la scène royale, Letizia est devenue la destinataire de nombreux cadeaux de marques de luxe, heureuses de miser sur une si belle ambassadrice. C’était sans compter les règles de transparence scrupuleusement respectées par la Zarzuela. Pour se faire "représenter" par la souveraine, la procédure est stricte. Les enseignes doivent envoyer des photographies de leurs modèles et attendre d’être contactées. Les prototypes sont systématiquement refusés.
Souvent critiquée pour ses choix, tantôt "low-cost", tantôt "trop chics", Letizia d’Espagne a toujours été fidèle aux marques espagnoles. Si elle s’autorise à porter du Hugo Boss, elle rend toujours hommage à ses compatriotes créateurs de mode: Francisco Pertegaz, Felipe Varela, son complice de toujours, mais aussi Zara, Mango ou Adolfo Dominguez. Pour les bijoux, les nouvelles enseignes Gold & Roses, Tous, Helena Nicolau ou encore Coolook, ont déjà souvent été mises en lumière par la reine.
La garde-robe de la princesse Leonor et de l’infante Sofia est constituée selon les mêmes principes. Les gammes enfant de marques comme Massimo Dutti, Zara, ou encore Pretty Ballerinas et Eli pour les souliers, sont les plus récurrentes.
Le style discret de Felipe VI
Azur, acier, pastel, le roi d’Espagne fait l’unanimité en jouant sur cinquante nuances de bleu, surtout pour ses chemises. Comme la reine, Felipe VI privilégie le Made in Spain, pour un look casual ou au contraire ultra-classique. Qu’il s’agisse de Mirto, chemiserie fondée en 1956, ou de Camiséria Burgos, fournisseur royal sous Alphonse XIII, mais sans exclusivité.
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