"Jusqu’où peut aller un roi pour cacher la vérité ?" Cette question choc, postée sur les plateformes de podcasts pour présenter le programme Corinna and the King (Corinna y El Rey, en version espagnole), promet de harponner plus d’un auditeur. Produite par Bradley Hope et Tom Wright, deux journalistes d’investigation d’origine américaine, cette série en huit épisodes, écrite en anglais et en espagnol, a pour fil conducteur le témoignage exclusif de Corinna Larsen, ancienne maîtresse du roi d’Espagne. Ce podcast se veut "l'histoire vraie de l’invraisemblable cupidité, de l’irrépressible luxure et des sombres conspirations qui ont mis la famille royale espagnole à genoux. Il s’agit des mythes fragiles sur lesquels les monarchies actuelles s'appuient pour survivre, et de ce qui se passe lorsqu’un peuple cesse d'y croire." Autrement dit, au-delà des révélations concernant la vie amoureuse de Juan Carlos Ier, le feuilleton propose une lecture inédite des scandales et de la rupture entre les Espagnols et leur roi. Et dès sa sortie sur la toile, les deux enquêteurs ayant recueilli les propos de Corinna Larsen ont tenu à souligner leur indépendance.
"Me présenter comme la maîtresse de Juan Carlos n'est pas péjoratif"
En renfort du pitch aguicheur présenté sur les plateformes d’écoute, les illustrations du documentaire jouent sur le mélange des genres à travers des créatures duales ou en représentant Juan Carlos et son ex-maîtresse en roi et reine d’un jeu de cartes. La partie s’annonce serrée pour les anciens amants, rivaux depuis la plainte pour harcèlement et intimidation que Corinna Larsen a déposée contre le roi d’Espagne auprès des tribunaux londoniens, il y a deux ans. Installée dans la capitale britannique, la femme d’affaires reproche en effet à l’ancien souverain d’avoir tenté de lui dérober des œuvres d’art et bijoux pour récupérer une partie des 65 millions d’euros qu’il lui aurait offerts bien après leur séparation, argent pour lequel la justice suisse a enquêté, soupçonnant une affaire de blanchiment. Les faits reprochés à Juan Carlos Ier ayant eu lieu après son abdication, la justice britannique a refusé de lui accorder l’immunité. Le roi vient tout juste de faire appel de cette décision. Entre Corinna et lui, tout avait pourtant commencé comme un conte de fées.
C’est par leur rencontre, en février 2004, que débute le podcast. À travers la voix des comédiennes Mishel Prada, pour la version anglaise, et de Laura Gómez pour la version espagnole, cet "il était une fois" nous embarque à La Garganta, propriété de 32.000 hectares en pleine sierra Morena, chez le duc de Westminster. Corinna, dont la voix intervient régulièrement dans le podcast, est alors âgée de 40 ans. Elle est encore mariée au prince Casimir zu Sayn-Wittgenstein-Sayn – ils divorceront en 2005 – et fait la connaissance du roi sexagénaire dans ce décor digne de Downton Abbey, où tous s’adonnent à la chasse. La jeune femme attire immédiatement l’attention du souverain.
Elle est non seulement belle, mais aussi indépendante et libre. Au point de s’éclipser une après-midi pour se reposer, même si disparaître ainsi ne se fait pas en présence du roi. "J’ai grandi dans ce genre d’environnement et je n’ai jamais ressenti ce besoin de soumission totale", précise-t-elle. Femme de tête, elle est aussi excellente chasseuse. Son sens tactique et sa connaissance des armes en imposent. "Le tir demande d’avoir un esprit mathématique. Calculer la trajectoire d’une balle, l’attente, la distance, le point d’impact relève presque de la méditation." Conquis, Juan Carlos l'invite à déjeuner dans un pavillon de chasse proche de la Zarzuela. Corinna appellera cet endroit, cher à son cœur, la "casita".

Des bouquets, des centaines de lettres manuscrites, des appels téléphoniques, "Monsieur Sumer" – nom de code pour "Su Majestad El Rey" – ne peut plus se passer d’elle. Corinna aussi est aux anges. "Me présenter comme la maîtresse de Juan Carlos n'est pas péjoratif. Cela ne reflète tout simplement pas la profondeur de la relation que nous avons eue", confie-t-elle. Et d’insister : "Je ne me suis jamais sentie aussi mariée qu’avec le roi d’Espagne. Dans mon cœur, il était mon mari."
Dévoiler le vrai Visage de Juan Carlos...
Cet amour fusionnel offre à Juan Carlos "une vie normale" qu’il n’a jamais connue. Au point de confier à sa compagne ses traumatismes d’enfance. Corinna analyse pour les auditeurs "la vie de défis" qu’a vécue le roi durant toute sa jeunesse, "l’insécurité dans laquelle Sophie d’Espagne et lui se trouvaient du temps de Franco". Elle revient aussi sur le tragique accident ayant coûté la vie à Alfonsito, le frère cadet du roi, en 1956."Il était le plus brillant des deux fils du comte et de la comtesse de Barcelone, le préféré", précise-t-elle. "Je l’ai tué, mais c’était un accident", lui aurait avoué Juan Carlos en se rappelant ce jour où Alfonso et lui jouaient avec une arme à feu. Le plus glaçant des souvenirs du roi reste sans doute cette question de son père après le drame : "Promets-moi que tu ne l’as pas fait exprès.' J’imagine ce qu’il a pu ressentir, car cela signifiait que pour son père, l’acte était délibéré."
À ce stade du podcast, Corinna Larsen rend plusieurs fois hommage à la force de caractère de Juan Carlos, qu’elle définit comme "un homme seul", contraint au "camouflage" pour se protéger depuis l’enfance passée entre son père et le général Franco. Le récit fait aussi intervenir plusieurs experts de la monarchie espagnole, qu’il s’agisse des journalistes Pilar Eyre et Pilar Urbano, ou encore des historiens Paul Preston et Laurence Debray. Tous les avis convergent pour démontrer l’extrême difficulté traversée par Juan Carlos. Et le miracle porté par son règne, à savoir ce retour inespéré de l’Espagne vers la liberté. Parfaitement construite, la narration de la comédienne Mishel Prada fait de cette transition démocratique le nœud gordien de l’histoire. En 1975, en devenant roi, puis après avoir déjoué le coup d’État du 23 février 1981, Juan Carlos est un "héros pour toujours".

Pour le journaliste David Jiménez, ancien directeur du quotidien El Mundo, la fragilité de la démocratie induisait un consensus tacite entre la presse et la Casa Real. "Tout le monde savait qu’il ne fallait pas toucher au roi, ni à Banco Santander [la première banque du pays, ndlr] ou encore aux grandes institutions nationales qui étaient liées au souverain." Le journaliste explique même que pendant des années, pour la presse espagnole, la corruption du roi aura été un secret de polichinelle. Corinna, elle, affirme ne pas avoir compris pendant longtemps les agissements de Juan Carlos.
Une femme piégée ?
Sollicitée en 2004 par le monarque pour programmer une lune de miel sur mesure et luxueuse pour Letizia et Felipe, alors princes des Asturies, elle ne se doute de rien alors qu’il lui demande de facturer la moitié des frais à la Casa Real et l’autre moitié à son ami, l’entrepreneur Josep Cusi. Mais avec le temps, elle finit par voir son amant "appeler un viticulteur pour recevoir une vingtaine de caisses de bordeaux. Ses désirs étaient des ordres." Ou encore "rentrer de voyage heureux comme un enfant de 5ans avec des sacs pleins d’argent", donnés par des amis. C’est sur un aveu terrible de Corinna que s’achève le deuxième épisode du podcast : "Si je posais la...
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