Quand il arrive devant la demeure madrilène de l’infante Pilar, où a été installée une chapelle ardente, le roi Juan Carlos a les traits marqués par le chagrin. À son côté, la reine Sophie peine à cacher sa tristesse. À leur suite, les infantes Elena et Cristina, accompagnées de leurs enfants Victoria Marichalar et Juan Urdangarin, embrassent leurs cousins Simoneta, Beltrán, Juan, Bruno et Fernando.
Pour ces adieux, les cinq enfants de la défunte ont tenu à respecter ses dernières volontés. Une messe ne réunissant que la famille et quelques intimes. La duchesse de Badajoz aimait la discrétion. La cérémonie va se dérouler sans la présence du roi Felipe VI ni de la reine Letizia, retenus pour obligations officielles. La veille, les souverains étaient parmi les premiers à se recueillir devant la dépouille de doña Pilar.
Le corps voûté, comme écrasé par la douleur, l’infante Margarita, sœur cadette de la duchesse de Badajoz, s’apprête à rejoindre son frère Juan Carlos. À son côté, son époux le docteur Carlos Zurita. Puis le roi Siméon de Bulgarie et la reine Margarita, la duchesse de Montoro, Eugenia Martinez de Irujo, la créatrice Agatha Ruiz de la Prada et sa fille Cosima… Tous pleurent cette mère, cette amie, cette sœur ou tante, dont la seule ambition était le partage.
Pilar, un reflet "au féminin" du roi Juan Carlos
Le 5 janvier 2019, jour des 82 ans de son frère Juan Carlos, Pilar d’Espagne était hospitalisée à la clinique Ruber Internacional de Madrid pour des difficultés respiratoires, fragilité exacerbée par le cancer du côlon qui lui avait été diagnostiqué il y a un an. Malgré tout l’enthousiasme et la combativité dont elle a toujours fait preuve, la duchesse de Badajoz était épuisée. Trois jours de lutte. Le temps pour ses enfants, Simoneta, ses quatre frères Beltrán, Bruno, Juan et Fernando, de se presser à son chevet. L’instant est tout aussi pénible pour le roi Juan Carlos, insupportable presque.
Présente aux meilleurs moments de sa vie comme à l’heure des épreuves, Pilar, sa grande sœur, lui a toujours voué un amour maternel. Pilar était presque un reflet "au féminin" du roi. Comme une jumelle en dépit des dix-huit mois qui les séparaient. Le même caractère, jusque dans les traits du visage. Le même courage.
Elle en a fait preuve jusqu’à la dernière minute, refusant de se plaindre. Elle affirmait même, depuis son intervention chirurgicale, en février 2019, qu’elle se portait à merveille. "Dans notre famille, on se tait même à l’article de la mort", avait-elle confié dans nos pages à notre consœur Laurence Debray.
LIRE AUSSI >> Quand Pilar de Bourbon racontait son frère, Juan Carlos
Et malgré d’épuisantes séances de chimiothérapie, la duchesse de Badajoz apparaissait encore en public. Elle était avec sa belle-sœur la reine Sophie, il y a quelques semaines, à la vente de charité organisée par Nuevo Futuro, l’ONG dont elle était présidente. Ses fines lèvres toujours impeccablement maquillées, un chapeau masquant la perte de sa chevelure d’argent, elle déclarait: "Tant que je peux, je suis là."
Une enfance en exil
Née en exil à Cannes, le 30 juillet 1936, douze jours seulement après l’éclatement de la guerre civile en Espagne, María del Pilar Alfonsa Juana Victoria Luisa Ignacia de Todos los Santos est la fille aînée de don Juan de Bourbon et Battenberg et de doña María de las Mercedes de Bourbon et Orléans.
Sa prime enfance se passe en Italie, à Rome, où son grand-père, le roi Alphonse XIII, s’est exilé, en 1931, après la proclamation de la seconde république en Espagne. C’est dans la ville éternelle que naîtront ses cadets: Juan Carlos, en 1938, Margarita, en 1939, et Alfonso, en 1941. Au début de la Seconde Guerre mondiale, la famille déménage au Portugal, à Estoril. Don Juan ne vit que pour la restauration de la monarchie dans son pays et transmet cette foi à ses aînés:"Tu n’es rien si tu ne penses pas à l’Espagne."
Pilar accepte le sacerdoce, comme Juan Carlos, sans pour autant se départir de son naturel enjoué. "Oui, c’était la guerre et oui nous manquions de patates, mais j’ai eu une enfance merveilleuse." Une époque marquée par les rires, la bonne humeur partagée avec ses frères et sœurs, mais aussi les cousins Orléans. En tout, une quinzaine d’enfants transforment régulièrement la villa Giralda en terrain de jeux. Pilar n’est pas la dernière à se dissiper, malgré la sévérité de ses parents.
Dans ses mémoires Tout m’est bonheur, sa tante, la comtesse de Paris, raconte la vision d’horreur de la reine Victoria Eugénie découvrant sa petite-fille, en pantalon corsaire rouge et sa longue chevelure "modernisée" à grands coups de ciseaux par ses cousins. "Ils ont déguisé ma petite Pilar en révolutionnaire!"
Seul Juanito, le cadet adoré et complice, manque à ces mascarades. "Il est parti étudier dans un internat en Suisse. Mon père avait décidé qu’il était trop gâté par ma mère, ce qui n’était pas vrai", se souviendra l’infante. Un jour qu’elle accompagne la comtesse de Barcelone à l’internat, toutes deux réalisent que Juan Carlos ne se lave plus tellement il a froid: "Nous l’avons frotté des pieds à la tête avec un savon à base de miel et nous l’avons rincé trois fois."
À l'adolescence, la jeune femme choisit de devenir infirmière
Pilar sait déjà qu’elle est là pour prendre soin de ses cadets. L’héritier bien sûr, mais aussi sa sœur l’infante Margarita, atteinte de cécité depuis la naissance. Elle lui témoigne la même attention et la même affection, comme à leur petit frère Alfonso. Un enfant d’une assurance impressionnante, celui qui mourra le premier. Accident tragique et la première grande fêlure, qui liera plus encore Juan Carlos à sa sœur. En 1956, la tradition interdit encore aux femmes d’assister à des funérailles. "Je suis donc restée à la maison avec ma mère et ma sœur, un moment terrible mais il n’y avait pas à en discuter."
Juan Carlos est maintenant dans une académie militaire en Espagne et sous la pesante tutelle du dictateur Franco. Pilar choisit de devenir infirmière. Le comte de Barcelone, réticent, doit bien céder devant la détermination de sa fille. Elle obtient son diplôme d’État à l’école Artur Ravara de Lisbonne.
À 21 ans, en 1958, elle découvre enfin l’Espagne, sa patrie, à l’occasion des obsèques de sa grand-mère maternelle l’infante Louise. Deux ans plus tard, elle revient pour accompagner son frère à l’académie militaire de Saragosse. Héritier putatif du Caudillo, comme de la couronne, Juan Carlos est l’objet de toutes les attentions… de toutes les intrigues. "J’ai toujours su que j’étais là pour défendre mon frère, qui était quelqu’un."
Elle a toujours préservé le lien fragilisé entre son frère et son père
Le 5 mai 1967, son mariage avec Luis Gómez-Acebo, vicomte de la Torre, est un pas de plus vers l’Espagne. Pilar, désormais duchesse de Badajoz, a échappé au destin dessiné par son père: épouser le roi Baudouin des Belges. Elle a rencontré son mari à Vevey, en 1962. Mais elle a dû attendre le mariage de son frère puis la naissance des infantes avant de pouvoir à son tour épouser morganatiquement celui qu’elle aimait.
La vie en Espagne se déroule encore sous la chappe de plomb du régime. "On mangeait Franco, on buvait Franco, on vivait Franco et on parlait de Franco." Une existence sous haute surveillance. Les cinq enfants de l’infante Pilar naissent sous la dictature. Un an après la venue au monde de Fernando, son fils cadet, Juan Carlos est enfin roi.
Comme sa mère la comtesse de Barcelone, Pilar préserve le lien fragilisé entre son frère et son père, privé de ses droits légitimes. Quand don Juan renonce officiellement à la couronne, le 14 mai 1977, elle emmène ses deux aînés à la cérémonie: "Voyez ce que votre grand-père fait pour son pays." Et c’est encore à elle que le jeune roi, inquiet, s’adresse pendant la tentative de putsch du 23 février 1981: "S’il te plaît, occupe-toi de papa." Depuis le bureau du roi, qu’elle ne quittera pas, elle tient son père informé de la situation heure après heure.
Doña Pilar était le ciment entre les couples et les générations de la famille royale
La duchesse de Badajoz est désormais une figure éminente de la monarchie et de la société espagnoles. À la tête d’associations caritatives, elle se consacre essentiellement à l’enfance et à la lutte contre le sida. Sa passion, héritée de la comtesse de Barcelone, reste l’équitation. "Ma nièce, l’infante Elena, est une excellente cavalière. Ma mère était certainement la plus douée. Contrairement à moi, elle montait divinement en amazone." En 1994, elle prend la succession de la princesse Anne, athlète olympique, à la tête de la Fédération équestre internationale.
Une façon de réinventer sa vie – "il m’a fallu mettre de l’ordre"– après la disparition de son mari, en 1991. Elle reprend les activités de Luis au sein la fondation Thyssen-Bornemisza, fabuleuse collection d’art qu’il avait contribué à installer à Madrid.
D’un abord jovial et naturel, à l’image de son frère, Pilar, consciente de ses défaillances, a toujours prévenu les journalistes: "Ne me faites pas parler de ma famille. Je suis bien plus mignonne quand je me tais!" Questionnée par la presse, l’infante avait gaffé avant le communiqué officiel des fiançailles de sa nièce Cristina avec Iñaki Urdangarín: "Ils l’ont déjà annoncé? Nous sommes ravis. C’est un...
Connectez-vous pour lire la suite
Profitez gratuitement d'un nombre limité d'articles premium et d'une sélection de newsletters
Continuer
Un journalisme d’excellence, des contenus exclusifs, telle est la mission de Point de Vue. Chaque article que nous produisons est le fruit d’un travail méticuleux, d’une passion pour l’investigation et d’une volonté de vous apporter des perspectives uniques sur le monde et ses personnalités influentes. Source d’inspiration, notre magazine vous permet de rêver, de vous évader, de vous cultiver grâce à une équipe d’experts et de passionnés, soucieux de porter haut les couleurs de ce magazine qui a fêté ses 80 ans. Votre abonnement, votre confiance, nous permet de continuer cette quête d’excellence, d’envoyer nos journalistes sur le terrain, à la recherche des reportages et des exclusivités qui font la différence tout en garantissant l’indépendance et la qualité de nos écrits. En choisissant de nous rejoindre, vous entrez dans le cercle des amis de Point de Vue et nous vous en remercions. Plus que jamais nous avons à cœur de vous informer avec élégance et rigueur.