Qu’il le veuille ou non, son image appartient à l’Espagne. Et toutes les spéculations qui ont alimenté la presse et les réseaux sociaux depuis qu’il a quitté le pays, en août 2020, en sont la preuve. Dès les premiers temps de ce qui, pour les uns, représentait un exil ou, pour les autres, un simple départ – premières conjectures d’un peuple sous le coup de la sidération –, toutes les hypothèses sur son nouveau lieu de résidence ont alors circulé.

Aujourd’hui, alors que la justice espagnole a classé les trois affaires dans lesquelles le roi Juan Carlos Ier était impliqué, la Zarzuela publie une lettre que le souverain émérite vient d’écrire à son fils, Felipe VI, lui annonçant qu’il ne quittera pas Abu Dhabi, "où j’ai adapté ma façon de vivre et que je remercie beaucoup pour sa grande hospitalité". Non seulement l’ancien monarque ne met pas fin à son absence mais, en outre, il confirme que sa décision de quitter l’Espagne n’avait rien d’un pis-aller. Dès lors, la même question continue de se poser dans tout le pays : quand reviendra-t-il ?
Des retours fréquents mais discrets
Si Juan Carlos prend acte des récentes décisions de la justice, il infirme les nombreuses rumeurs qui le disaient impatient de retrouver son pays à la première opportunité. "Je préfère à présent, pour des raisons appartenant à ma sphère privée et qui ne concernent que moi, continuer à résider de façon permanente et stable à Abu Dhabi, où j’ai trouvé la tranquillité, en cette période particulière de ma vie", écrit-il à son fils, marquant ainsi une rupture entre le temps politique et ce qui lui importe désormais, à l’âge de 84 ans.
Pour cet ancien chef d’État à la carrière aussi singulière qu’imposante, ce père de roi qui a eu à cœur d’offrir à son successeur ce dont l’histoire l’avait lui-même privé, l’essentiel est à présent de pouvoir considérer cette étape de sa vie "dans la sérénité et depuis la perspective offerte par le temps qui s’est écoulé. En 2019, je t’ai fait part de ma volonté de me retirer de la vie publique, et je continuerai en ce sens. Pour mes prochaines visites en Espagne ou si j’en viens à résider dans le pays, mon intention est d’organiser ma vie personnelle et mon lieu de résidence dans des endroits privés pour continuer à profiter de la meilleure intimité possible".

Ainsi Juan Carlos ne séjournera-t-il plus jamais à la Zarzuela ni au palais de l’Almudaina de Palma, lors de ces retours qu’il dit cependant "fréquents, dans cette Espagne que je garde toujours dans mon cœur, pour rendre visite à la famille ou à des amis".
Lorsque la justice a annoncé classer les affaires auxquelles était lié l’ancien roi – faute de preuves contre lui ou parce que, concernant les faits datant d’avant 2014, il bénéficie encore de son immunité d’ancien chef d’État –, la presse espagnole s’est empressée de recenser les résidences susceptibles de l’accueillir. Dans la péninsule ibérique, Juan Carlos possède autant de pied-à-terre que d’amis.

En Galice, chez Pedro Campos, le président du Real Club Nautico de Sanxenxo, il a toujours été reçu chaleureusement. En Castille, il sait aussi pouvoir compter sur son ami Carlos Gutiérrez-Maturana-Larios y Altuna qui possède une grande propriété à Albacete. Le Portugal apparaît aussi comme une destination plausible, qui permettrait au roi de se rapprocher des siens de temps à autre. Cascais, où il a vécu plus jeune, Azeitão, où vivent ses amis Brito e Cunha-Espirito Santo, ou encore à Estoril où sa sœur, la duchesse de Soria, possède une résidence, sont autant de points de chute où Juan Carlos pourrait séjourner tant qu’il se sentira sous le feu des projecteurs.
De père en fils, une couronne fragile
Car malgré la clôture des différentes enquêtes judiciaires le concernant, l’ancien souverain se dit "conscient de l’importance pour l’opinion publique des événements passés dans ma vie privée et que je regrette sincèrement, car je ressens également une fierté légitime de ma contribution à la coexistence démocratique et à la liberté en Espagne, résultat de l’effort collectif et du sacrifice de tous les Espagnols". Ce dernier aveu résume à lui seul la difficulté inextricable à laquelle fait face la Couronne depuis l’abdication de l’ancien monarque.
Juan Carlos, qui a rendu sa liberté à l’Espagne au sortir du franquisme, a, de fait, aussi libéré les manifestations d’opposition, qu’il s’agisse aujourd’hui de la grogne des Indignés, de l’arrivée au pouvoir de partis républicains comme Podemos ou, des manœuvres politiciennes d’un Pedro Sánchez.

À peine publiée, cette lettre de Juan Carlos à son fils, le président du gouvernement a en effet fait savoir, lors d’une conversation informelle avec des journalistes, que, selon lui, le roi "devait des explications aux Espagnols". Si, jusque-là, Pedro Sánchez a semblé vouloir jouer un rôle de médiateur entre l’opinion et la Casa Real, il est aujourd’hui celui qui manifeste le plus de virulence à l’encontre de l’ancien souverain, au sein de la classe politique. Sa réaction indique que l’hostilité perdure à l’égard de la Couronne et justifie le choix de Juan Carlos de demeurer pour l’heure à Abu Dhabi.
La lettre du roi à son fils est avant tout un témoignage sans fard de la tendresse qu’il éprouve pour celui qu’il appelle "Majesté, mon cher fils". En lui rappelant, en conclusion, "la loyauté, la tendresse et la fierté immense que je ressens pour toi", il pose un acte d’amour absolu. Qui n’est pas sans rappeler la détermination teintée d’adoration avec laquelle son propre père, le comte de Barcelone, s’était adressé à lui le 14 mai 1977.

Juste après avoir prononcé son discours de renonciation à la Couronne, douloureux adieu à l’œuvre d’une vie, don Juan s’était tourné vers son héritier en prononçant ces mots : "Majesté, pour l’Espagne, tout pour l’Espagne, Vive l’Espagne, vive le roi !" De père en fils, la Couronne représente ce bien si sacré et fragile qu’il semble impossible de le transmettre sans s’effacer ensuite sans appel. Et pour le roi en exercice, servir son peuple devient dès lors un voyage de solitude au long duquel le courage comme la dévotion impliquent de sacrifier son modèle pour mieux incarner la monarchie et assurer son avenir.
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