Le St. Regis Venice, au temps de sa première acqua alta... En quelques heures, une marée de plus d’un mètre a transformé ce palace vénitien, fraîchement restauré, en une véritable naumachie. De joyeuse entrée, solennelle comme tout monarque triomphant du Moyen Âge, le peintre Olivier Masmonteil, qui aime tant les références à l’histoire, n’en aura pas eu. Le voilà en cuissardes venant inspecter l’état des panneaux qu’il a réalisés pour le Gran Salone. Délicat travail sérigraphique, de recouvrements, de voiles de couleurs et d’images, de jeu avec les motifs de la maison Rubelli.
Quatre allégories (La Forge de Vulcain, Mercure et les Grâces, Ariane, Vénus et Bacchus, et Minerve repousse Mars loin de la Paix et l’Abondance) rendent hommage aux Tintoret de l’antichambre du collège du palais des Doges. Après une année de travail dans ses ateliers de Saint-Ouen entouré par une équipe d’assistants à la virtuosité et la patience toute bénédictine, cette situation d’urgence aurait pu inquiéter l’artiste français. Mais pour ce pêcheur à la mouche des rivières de Sainte-Fortunade, dans sa Corrèze natale, le milieu aquatique, si hostile soit-il, n’est pas une potentielle Bérézina. Bien au contraire. Il y trouve bien des analogies. "La peinture et la pêche sont amoureuses des surfaces ambiguës, des transparences et des reflets."
Olivier Masmonteil est un esthète braconnier d’émotions
Lui-même se considère comme un artiste de paradoxes. Il vénère la peinture de paysage qui a longtemps eu mauvaise presse, affiche ses influences, de Richter à Nicolas de Staël, de Ruisdael à Baselitz. Il aime la délicatesse, l’élégance, le luxe et la gastronomie (son épouse, la cheffe Émeline Aubry, est une référence mondiale du pâté en croûte), tout en s’affranchissant du temps et des conventions lors de "virées vitales et solitaires" au gré des cours d’eau de Nouvelle-Zélande. "Je dors alors dans un van et me nourris de simples barres de céréales..."
Derrière des allures de grizzli, revendiquant sa part de ruralité, Olivier Masmonteil est un jeune maître ancien, un esthète braconnier d’émotions, de couleurs, très recherché par ceux qui aiment l’immédiateté de la peinture et désirent un supplément d’âme.
Pour la maison d’horlogerie Bucherer, il a scénarisé son écrin parisien du boulevard des Capucines. Pour les cachemires Eric Bompard, il a imaginé une collection responsable et engagée et créé une somptueuse fresque à la feuille d’or pour le Madame Rêve Café et ses huit mètres de hauteur sous plafond de l’ancienne Poste du Louvre. Ce n’est donc pas étonnant que le St. Regis Venice fasse appel à celui qui a également décoré en Autriche plusieurs hôtels appartenant à Dietrich Mateschitz, le patron de Red Bull.
Le peintre a eu carte blanche
Séduit par son travail au Pavillon Ledoyen, restaurant de Yannick Alléno, Stéphane Obadia, head of Hotel Investments at Schroders, qui a repris le St. Regis à la barbe d’investisseurs émiratis, a donné carte blanche : "Non pas à un décorateur, mais à un artiste qui comprend intimement les lieux sans vouloir à tout prix marquer son passage de sa signature."
Cent vingt dessins décorent désormais l’hôtel. Pour les suites donnant sur la basilique Santa Maria della Salute et la Pointe de la Douane, l’une des plus belles vues sur le Grand Canal, le peintre a été fidèle à ses principes d’évocation du passé, de "sampling mémoriel". Tout en évitant l’écueil de la "vue pittoresque", jouant sur ses lignes d’horizon qu’il affectionne, Masmonteil a réinterprété, à travers cinq tableaux, les œuvres peintes par Monet lors de son unique voyage à Venise, en octobre 1908.
Ce peintre impressionniste logeait d’ailleurs au Grand Hotel Britannia, l’un des multiples noms à travers l’histoire de l’actuel St. Regis. "La vue depuis nos fenêtres est merveilleuse, on ne peut rien rêver de plus beau et c’est tout pour Monet", raconte alors Alice, l’épouse du peintre. Les Monet apprécient le confort de l’établissement et son "éclairage électrique vraiment magique". Trente-sept toiles surgiront de cette villégiature. Pendant deux heures, tous les jours à la même heure, Monet s’attaque aux mêmes motifs.
Un processus obsessionnel dont est adepte Masmonteil, qui a réalisé mille peintures pour la série Quelle que soit la minute du jour. "Et pourtant, poursuit ce dernier, Monet se serait écrié en descendant du train : 'C’est trop beau pour être peint ! C’est inrendable !'" Le maître de Giverny a considéré qu’il n’a peint à Venise que "des commencements". "En fait, confie admiratif Olivier Masmonteil, Monet a inventé l’inachevé parfait..."
The St. Regis Venice, San Marco, 2159, 30124 Venezia VE, Italie.
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