Quelques heures plus tôt, lors de l’impressionnante procession du Corpus Christi qui a traversé Séville en fête, les fidèles suffoquaient sous la vague caniculaire, mais une fois la nuit tombée, une brise légère s’est enfin levée. Arrivés en calèches à cheval ou en berlines, les heureux invités de la maison Dior découvrent alors la place d’Espagne, la plus célèbre de la ville, privatisée pour un moment d’exception.




Quel coup d’œil ! Achevé en 1929 pour l’Exposition américano-ibérique, l’ensemble néo-Renaissance, grandiose, est entièrement décoré de centaines de milliers d’œillets rouges. Symbolisant l’harmonie entre les cinquante provinces espagnoles et les anciennes colonies d’Amérique, cet arc de cercle tourné vers le Guadalquivir semble à nouveau le centre du monde, tant les langues et les nationalités s’y mêlent.

Bientôt les lumières s’éteignent et la musique s’élève. L’orchestre Bética de Cámara, dirigé par Alberto Iglesias, compositeur inégalé des bandes son d’Almodovar, prend son élan, comme Belén López et El Yiyo. Les deux bailaores martèlent la scène de leurs talons dans un taconeando étourdissant, hommage à Carmen Amaya, dite la Capitana, légendaire danseuse de flamenco connue pour sa totale liberté et ses vêtements d’homme.


Cette allure masculine au féminin inspire d’ailleurs tout le défilé, sublimé par les danseuses de la chorégraphe Blanca Li, toutes vêtues de longues robes de mousseline écarlate qui ondulent et se déploient sur les ponts d’Aragon et de Castille. À leurs pieds, cent dix mannequins défilent. Chaps d’équitation matelassées, cravaches, bretelles, complets à rayures, boléros de toreros et vestes à brandebourgs se mêlent aux jupes gitanes à volants, aux châles de Manille ou aux éventails en dentelle de l’atelier Abanicos Carbonell.


Comme de coutume, Maria Grazia Chiuri a puisé dans les merveilleux savoir-faire régionaux pour magnifier ses créations. Ainsi, les chapeaux de cavalières, en feutre ou en paille, ont-ils été réalisés par les artisans de Fernández y Roche, en s’inspirant d’une photo de Jackie Kennedy à cheval en compagnie de la duchesse d’Albe. Javier Menacho Guisado a, pour sa part, embelli le sac Saddle de ses traditionnels ornements de cuir, tandis que l’atelier Jesús Rosado, qui brode habituellement d’or et d’argent les vêtements des Madones lors des processions religieuses, a appliqué ses talents à l’emblématique veste Bar.
Tissée d’une myriade de références à l’histoire de la maison et à celle de l’Espagne, cette collection croisière était une véritable déclaration d’amour à la culture andalouse. Un amour payé de retour si l’on en juge par l’ovation et les danses ferventes qui ont accueilli la créatrice à l’issue du défilé, ainsi que par la profonde émotion qui a emporté l’assistance éblouie.