"C ’est quoi, le bio? Moi, je ne sais pas. Je suis simplement né dedans." Simone Zanoni éclate de rire, une courgette dans la main. Autour de lui, 2.000 mètres carrés de potager, sans pesticides ni traitement chimique. Son autre terrain de jeu, après ses cuisines, situé au cœur de Versailles, dans l’ancien domaine de Madame Élisabeth, sœur de Louis XVI.
Au vert, Zanoni est parfaitement à son aise. Il tutoie les jardiniers, cueille son fenouil sauvage dont le goût anisé fait sa fierté et se lance dans un monologue enflammé contre l’industrie agroalimentaire et ses excès.

Les tomates lui rendent son calme. Quand elles se seront décidées à mûrir, il fera des carpaccios. Pas avant. Chi va piano va sano. C’est la leçon retenue d’une enfance à la ferme, en Lombardie, près du lac de Garde. Car même si les Zanoni ne sont pas agriculteurs de profession, il y a toujours eu chez eux un potager, un poulailler, et même des cochons. "Déjà mon père, il y a trente ans, ne voulait pas acheter de la viande car elle n’avait pas le même goût que celle qu’on élevait à la maison. Il avait raison."
Le chef italien défend une vision humaine de son métier
Quand tant d’acteurs de l’hôtellerie et de la restauration s’attachent à verdir leurs pratiques, et leur communication, avec plus ou moins de sincérité, Zanoni passe à l’action. À la table de son restaurant, Le George, deux cents couverts chaque jour, il a remplacé les bouteilles d’eau par des carafes d’eau filtrée. Les déchets organiques deviennent compost et le marc de café, récolté par une PME, permet la culture de pleurotes.

Mais n’allez pas lui parler du mouvement locavore –"ça ne veut rien dire"–, de régime flexitarien –"du bon sens, c’est tout"– ou pire encore, de véganisme, "la chose la plus dangereuse au monde". Rien de moins. "Mon bœuf vient d’Australie. Sauf que moi, je suis allé visiter les fermes il y a deux ans! Les bêtes sont libres, bien nourries, et bénéficient pratiquement d’un hectare chacune. La viande est d’une tendresse et d’une qualité irréprochables. Est-ce que c’est polluant? Les avions voleraient à vide. Je ne trouverai pas cette qualité ailleurs. Mais si je peux, j’achète au plus près. Mon veau vient de Belgique. Parce que je connais l’éleveur et que je sais que les animaux sont bien traités."
Preuve que sa viande est excellente, dans la voiture électrique qui le ramène à Paris, Zanoni, au volant, prend un appel, en italien. Il négocie, plaisante. Il raccroche enfin. "C’était Gérard Depardieu qui voulait une pièce du boucher", s’amuse-t-il.
Un homme à l'image de sa cuisine, simple et conviviale
Show off, le chef? Formé à Londres par Gordon Ramsay, maître du Trianon Palace à Versailles pendant huit ans, l’homme pourrait ne plus toucher terre. Et confie avoir été débauché par le Four Seasons en vingt minutes.
Au George, il a carte blanche. En salle, sublime privilège, le personnel ne porte pas d’uniforme, à la différence des équipes des deux autres restaurants, Le Cinq et L’Orangerie. Libre cours est donné à la personnalité de chacun, dans le pur style Zanoni. Côté cuisine, la trattoria revisitée fait des merveilles, couronnée par une étoile au guide Michelin en février 2017.

Paradoxalement, Simone Zanoni a connu un nouveau tournant dans sa carrière une fois son restaurant déserté, il y a quelques mois, en pleine crise du coronavirus. Confiné chez lui et redoutant de tourner en rond, le chef s’est cherché des occupations. Il a commencé par cuisiner pour les enfants des soignants de sa commune, les seuls à être toujours scolarisés. Ainsi que pour les parents, qui récupéraient chaque soir une boîte repas à emporter. "En quatre semaines, on a préparé avec Greta, ma femme, 1.600 mets chez nous. Heureusement, nous sommes équipés. Les commis? Nos enfants! Mon fils Cesare, 9 ans, épluchait des asperges toute la journée. Quant à Penelope, ma fille de 5 ans, elle fermait les boîtes."
En avril, le touche-à-tout décide d’aller plus loin et lance sur les réseaux sociaux des cours de cuisine. Avec le même mot d’ordre: simplicité, convivialité et lutte contre le gaspillage alimentaire. Sur Instagram, le succès est fulgurant: près de 150.000 fans applaudissent ses recettes vidéo, ponctuées de son "Bomba atomica!", sa formule fétiche.
"Il est temps de redonner ses lettres de noblesse à la pasta. La crème dans la carbonara, il faut arrêter, les gars…" Fort de cette expérience, il écrit même un livre, paru aux éditions Zanoni Conseils, avec l’un de ses admirateurs, Le Confinement d’un chef. Les 7.000 premiers exemplaires se sont arrachés en quelques jours en précommande. "J’avais promis de tous les dédicacer, l’enfer!" sourit Zanoni, de retour aux fourneaux, à quelques minutes du coup de feu de midi. Le temps pour lui de peaufiner son pesto lui-même. En toute simplicité.
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