Les Gagarine, famille aristocratique russe à laquelle appartient Macha Méril, descendent de la dynastie des Riourikides, qui régna sur la Rous de Kiev du IXe au XIIIe siècle. Elle fut fondée, vers 860, par le Scandinave — ou Varègue — Riourik, un mystérieux personnage, "dont on ne sait à peu près rien, ni les origines, ni les faits et gestes", relate Hélène Carrère d’Encausse dans Les Romanov, une dynastie sous le règne du sang. Riourik crée la ville de Novgorod — aujourd’hui en Russie —, dont il se fait le prince. C’est sous son successeur, Oleg, que la dynastie s’empare de Kiev. En faisant de la ville sa capitale, elle donne naissance à la Rous de Kiev, en 882.

Au fil des siècles, les Riourikides continuent d’étendre leur territoire — divisé en principautés —, jusqu’au Nord et à Moscou. L’invasion mongole sonne le glas de la Rous de Kiev en 1240. Dans les décennies suivantes, la grande principauté de Moscou – ou Moscovie – gagne en puissance, tandis qu’une partie des terres d’Ukraine se retrouvent sous la domination du grand-duché de Lituanie, puis de la Pologne. Ce n’est qu’au cours des XVIIe et XVIIIe siècles que l’ensemble de l’Ukraine est intégré à la Russie.
Dire que la Russie actuelle est née à Kiev, comme le revendique Vladimir Poutine, est donc une erreur. "La Russie n’est pas née directement à Kiev, mais dans les territoires de l’extrême nord-est de l’ancienne Rous (Vladimir, Souzdal, Moscou). La formule bien connue qui fait de Kiev la 'mère des villes russes' est un artifice de traduction : Kiev était la mère des villes de la Rous", souligne Iaroslav Lebedynsky, professeur d’histoire de l’Ukraine à l’Institut national des langues et des civilisations orientales (Inalco).
L’Ukraine n'a cessé d’être sous influence étrangère
Depuis la fin de la Rous de Kiev, l’Ukraine ne cesse d’être sous influence étrangère : Lituanie, Pologne, Tatars, Empire russe… La Révolution de février 1917 lui donne alors des envies d’indépendance. Mais cette période ne sera que de courte durée. S’ensuivent sept longues décennies de domination soviétique, avant qu’elle n’accède pleinement à l’indépendance en 1991, avec la chute de l’URSS.

"Vladimir Poutine déclare que Lénine a créé l’Ukraine, mais celle-ci l’a été avant que Lénine ne rentre en Russie, en avril 1917", relate Svetlana Koshova, professeure d’histoire au lycée français Anne-de-Kiev. "Des documents faits dans la capitale ukrainienne en attestent", ajoute l’enseignante. Pour cette dernière, le président russe se positionne ainsi en "nouvel historien de la Russie", n’hésitant pas à réécrire l’histoire comme il l’entend, afin de gagner à sa cause les Russes.

La culture ukrainienne est elle aussi victime de la mainmise de son voisin. "Vladimir Poutine dit que nous formons un peuple unique avec les Russes, mais nos coutumes sont bien différentes des leurs", nuance sa collègue Tetiana Teremetska, professeure d’histoire ukrainienne. Quant aux artistes nés en Ukraine, comme le romancier Nicolas Gogol – qui ne vivra que dix ans de sa vie en Russie –, ils sont considérés comme russes par l’Empire.

Une position qui s’explique par le fait que de "nombreux artistes étaient contraints de se rendre à Vienne ou à Saint-Pétersbourg pour faire carrière", précise l’enseignante. L’appropriation de la culture ukrainienne par la Russie passe aussi par l’assiette. En effet, la soupe composée de betteraves et de choux, le bortsch, plat typique d’Ukraine, est aujourd’hui considéré comme russe par son voisin, confie Svetlana Koshova.