Entre pro et anti-vaccins, la querelle dure, et depuis longtemps. Dans leur livre paru aux prémices de l’épidémie, Françoise Salvadori, docteur en virologie et immunologie, et Laurent-Henri Vignaud, historien et maître de conférences à l’université de Bourgogne, évoquent même Point de Vue-Images du Monde. Notre magazine, dans les années 1970, ouvrait une tribune à la Ligue nationale pour la liberté des vaccinations, fondée quelque quinze ans auparavant.
C’est cette histoire aux multiples épisodes et rebondissement que relatent les auteurs. Avec des champions, jusque dans les familles royales, des héros ou antihéros, comme Louis Pasteur, notre génie national et pionnier de la microbiologie, dont la pratique fut pourtant qualifiée de "médecine Frankenstein" par ses plus farouches détracteurs...

Quand apparaissent les premiers antivax ?
Au XVIIIe siècle, avec les vaccins. Un premier débat s’ouvre autour de l’inoculation variolique, une pratique très proche de la vaccination, introduite en Europe par Lady Montagu, vers 1720. La technique consiste à utiliser le pus séché d’un malade, inoculé chez un patient sain par une petite scarification. Le premier vaccin en tant que tel, nommé "vaccine", ne sera inventé qu’en 1796 par le médecin anglais Edward Jen- ner. Il utilise le virus de la variole des vaches, Variola vaccina en latin, une maladie bovine moins virulente pour l’humain, mais qui lui permet de produire des anticorps.
Qui est Lady Montagu, une scientifique ?C’est un personnage haut en couleur, épouse de l’ambassadeur britannique à Constantinople et auteure d’un célèbre récit de voyage. Elle découvre dans les hammams que les Levantines pratiquent l’inoculation sur les enfants. Ils ne développeront plus, ensuite, de forme grave de la maladie. Lady Montagu est concernée, elle a perdu son frère de la variole qui l’a, elle-même, en partie défigurée. Elle décide, dans un premier temps, d’inoculer ses propres enfants. De retour en Angleterre, elle convainc la princesse de Galles [Caroline d’Ansbach, ndlr], épouse de l’héritier du trône, qui va faire adopter la pratique à l’échelle du pays.
La "variolisation" souffre déjà de critiques et d’a priori ?
En partie en raison de ce scénario. Certains refusent cette "méthode de barbares", passée de l’Orient à l’Occident, d’autres le "remède de bonne femme". Le résultat est pourtant manifeste à Constantinople, et bientôt en Europe. La mortalité par variole baisse significativement à la fin du XVIIIe siècle. Pas tant en raison de l’inoculation de Lady Montagu, procédé coûteux et encore réservé à une élite, que grâce à la vac- cine de Jenner.

La famille royale française, en 1774, se fait inoculer, qui la convainc ?
Le grand événement déclencheur, cette année-là, c’est la mort de Louis XV de la variole. Par crainte de voir la famille royale décimée, on va inoculer Louis XVI, ses frères et ses sœurs. La famille d’Orléans a déjà montré l’exemple, dans les années 1750. Mais l’inoculation, défendue par Voltaire, est une pratique de l’aristocratie éclairée. Certains adversaires se placent d’ailleurs sur un plan moral, religieux, méprisant ces "pratiques de libertins" puisqu’il faut découvrir le corps pour scarifier.
Les religions s’en mêlent... Être antivax, c’est une question de foi ?
Aucune religion aujourd’hui ne tient de discours contre la vaccination, hormis de rares sectes. Dès 1763, le pouvoir royal a interrogé la faculté de théologie. Et la Sorbonne a botté en touche, répondant que les théologiens n’avaient pas à se prononcer sur une question de médecine. Mais chez les plus "intégristes", protestants, juifs, musulmans ou catholiques, on retrouve toutefois des propos hostiles. Il y a toujours des religieux pour affirmer que c’est mal puisque l’on va contre la volonté divine. Mais les plus nombreux théorisent que c’est aller contre la Providence que de refuser un remède que Dieu nous a permis de connaître.
D’où viennent toutes ces craintes alors ?
L’opinion antivax est, à l’origine, portée par des médecins qui refusent de croire à l’efficacité, ou qui soulignent la dangerosité du procédé. Il faut avoir un certain nombre d’a priori pour s’engager dans ce combat. Et parmi ces a priori, bien souvent un état d’esprit "naturaliste". Quelques discours radicaux affirment qu’il faut avoir développé les maladies durant l’enfance, une sorte de rite de passage. Et il existe toujours des médecins pour défendre ces théories marginales. Comme dans les années 1980, où certains refusaient de croire que le sida était une maladie virale. Pour ces praticiens, la maladie n’est jamais la faute du virus ou de la bactérie, mais de la mauvaise hygiène de vie, de l’environnement pollué, de la mauvaise nutrition, du manque de pratique sportive, voire du mauvais karma du patient...

Louis Pasteur lui-même a peiné à convaincre...
C’est même le point de départ de notre livre. Avec Françoise Salvadori, nous avons commencé nos recherches dans les archives où Pasteur faisait, en quelque sorte, sa revue de presse. Et nous étions surpris du nombre de diatribes, de la violence du ton. Tant dans la presse généraliste que spécialisée. Des savants renommés, et même quelques membres de l’Académie de médecine, qualifiaient ses découvertes d’imaginaires !
Le bilan est positif pourtant, quelles maladies la vaccination a-t-elle vaincues ?
Associée au progrès de l’hygiène et aux antibiotiques, la vaccination a fait régresser les épidémies. Au point que nos peuples, et nous le voyons avec la réaction à la Covid-19, ne sont plus préparés à ce risque tellement banal aux siècles précédents. Le succès le plus évident, en tout cas le plus cité pour les vaccins, est la variole, éradiquée à l’échelle mondiale depuis 1979. Et nous sommes tout près, depuis quelques années, de vaincre la polio, qui ne subsiste que dans quelques foyers résiduels, souvent des zones de guerre, comme en Afghanistan...
Les adjuvants, comme les fameux "sels d’aluminium", c’est un problème d’information ou un risque réel ?
Un bel exemple d’anti-vaccinisme, qui ne porte pas sur un discours général mais insiste sur tel ou tel aspect prétendument suspect. En France, depuis le milieu des années 1990, pour protester contre le vaccin de l’hépatite B, on se focalise sur les sels d’aluminium qui provoqueraient des scléroses en plaques. Ce lien n’a jamais été prouvé. Depuis 1938, tous les Français ont reçu des sels d’aluminium avec le vaccin obligatoire du tétanos. Personne n’a noté, depuis, de pics de la sclérose en plaques dans la population.
Voir cette publication sur InstagramConcernant la Covid-19, quels sont les arguments pour et contre la vaccination ?
Toujours les mêmes. Les antivax agitent le spectre de l’obligation vaccinale, un faux débat puisqu’elle n’est pas d’actualité. Plus que de stopper la contagion, les vaccins annoncés vont nous éviter de développer des formes graves de la maladie. Quels seront leur efficacité, les effets secondaires ? Pour l’instant, sans données précises, provax et antivax sont dans le même bateau. Il leur faut se fier à la seule...
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