Marie-Angélique de Fontanges, l’ultime passion de Louis XIV

Mademoiselle de Fontanges a passé comme une comète dans la vie amoureuse de Louis XIV. Patrick Daguenet, dans une biographie confrontant pour la première fois la quasi-totalité des sources disponibles, évoque avec sensibilité le destin tragique et méconnu de la dernière passion du Roi-Soleil.

Par Joëlle Chevé - 26 novembre 2021, 07h25

 Mademoiselle de Fontanges, la jeune maîtresse du roi Louis XIV.
Mademoiselle de Fontanges, la jeune maîtresse du roi Louis XIV. © Sotheby's / akg-images

Le 17 octobre 1678, la princesse Palatine, belle-sœur de Louis XIV, reçoit au château de Saint-Cloud une nouvelle fille d’honneur : Marie-Angélique de Scorailles de Roussille, dite Mlle de Fontanges. Sa famille, d’extraction chevaleresque, est originaire de Haute-Auvergne. Pendant la Fronde, son père, Jean-Rigaud de Scorailles, s’est illustré en 1651 au siège de Montrond. Mais il n’est pas un courtisanet c’est dans ses châteaux auvergnats de Cropières et de Roussille que le guerrier prend son repos auprès d’une épouse réputée pieuse à laquelle il fait neuf enfants.

Comment la cinquième a-t-elle échappé à un destin que tout annonçait d’une médiocrité provinciale ? Par ce qui est alors "la dot des dots" : une extraordinaire beauté. Ses parents ont-ils formé le projet de l’introduire dans le lit du roi comme ses contemporains en sont convaincus ? Patrick Daguenet les dédouane de cette accusation. Le fait est, cependant, qu’ils l’ont confiée à un cousin fort peu recommandable, le comte César de Grolée, un roué avant l’heure, dont on apprend qu’il a repéré l’éblouissante Marie-Angélique et aussitôt compris le parti qu’il pouvait en tirer.

Deux ans plus tard — elle a alors 17 ans — grâce aux relations de Grolée avec Charles d’Harcourt comte de Beuvron, capitaine des gardes de Monsieur, frère du roi, l’affaire est faite. Madame aime s’entourer de jolies femmes et plus encore de bonnes cavalières. Mlle de Fontanges, grande blonde aux yeux bleus, faite au moule et amazone accomplie, remplit toutes les cases. Le prince de Marcillac, Grand Veneur de Sa Majesté et rabatteur de gibier de toute espèce, a tôt fait de "mettre la bête dans les toiles".

"Belle comme un ange et sotte comme un panier"

Le roi est ébloui par sa beauté et rassuré par sa douceur : "Voilà un loup qui ne me mangera point !" Un cri du cœur, si l’on se souvient que Louis XIV est alors en butte aux violentes scènes de jalousies de Mme de Montespan à propos de ses longues conversations, dont toute la Cour s’étonne, avec la gouvernante de leurs enfants, Mme de Maintenon. Celle-ci lui prêche-t-elle la fidélité conjugale, comme elle s’y est engagée envers Dieu et son confesseur ? C’est le cas, mais alors qu’elle tente de le convaincre avec douceur et raison, le roi subit le feu nourri des prédicateurs de la Cour, Bossuet, et plus encore Bourdaloue, qui "frappe comme un sourd" contre l’adultère royal.

Louis XIV a 40 ans et porte encore beau malgré ses multiples indigestions, vertiges, coliques, vapeurs et autres troubles, sans compter les "poudres d’amour" que lui fait ingérer à son insu Mme de Montespan. Mlle de Fontanges sera la bénéficiaire de ces sortilèges et des derniers élans du Roi-Soleil, pris entre le démon de midi, la peur réelle des feux de l’Enfer et le désir sincère de se racheter. Sa volonté de conserver secrète sa liaison avec Marie-Angélique — il fait semblant en public de ne pas la reconnaître —, dit assez combien il est tourmenté par des passions contradictoires.

La première rencontre entre Mademoiselle de Fontanges et Louis XIV, une gravure réalisée par Bernard Picart.
Gravure de Bernard Picart représentant la première rencontre entre Mademoiselle de Fontanges et Louis XIV. © akg-images / De Agostini Picture Library

Cette idylle lui rappelle sans doute celle qu’il a nouée en d’autres temps avec Louise de La Vallière. Mais contrairement à celle-ci, "timide violette" qui avait honte d’être la maîtresse du roi et la mère de ses bâtards, la jeune Auvergnate vit son extraordinaire ascension en héroïne de roman. Nourrie de la Clélie de Mlle de Scudéry et de L’Astrée d’Honoré d’Urfé, romans présents dans toutes les bibliothèques châtelaines, elle accomplit le rêve qui l’a visitée la veille de son départ à la Cour.

Est-elle amoureuse du roi ? Comment ne le serait-elle pas puisqu’il est le roi ? Comblée de cadeaux, bijoux, toilettes, appartement au Château-Neuf de Saint-Germain et carrosse à huit chevaux, elle rayonne. Et signe indiscutable de sa faveur, elle fait la mode ! Lors d’une course à cheval, elle a relevé sa chevelure de rubans, prémices des pièces montées "à la Fontanges" qui feront fureur au XVIIIe siècle.

En revanche, tous dénoncent sa sottise et son manque d’esprit, péché capital pour qui veut briller à la Cour. "Belle comme un ange et sotte comme un panier", pour l’abbé de Choisy, "stupide petit animal" pour la Palatine, "sotte comme un prunier" pour Mme de Sévigné... Mme de Montespan a beau jeu, après avoir vanté ses formes à Louis XIV pour mieux évincer la "vieille" Maintenon, de critiquer sa balourdise. Elle est dans son rôle, comme toutes les anciennes précieuses, Mme de Sévigné en tête, qui mettent l’art de la conversation au-dessus de toutes les qualités mondaines et se persuadent que Louis XIV se lassera de sa vacuité.

La marquise de Montespan et ses enfants
Le bref règne de Marie-Angélique de Fontanges sur le cœur du Roi-Soleil survient alors que Madame de Montespan, ici avec ses enfants, entre en disgrâce. © akg-images

Son biographe dénonce une entreprise de dénigrement systématique envers la petite provinciale mal dégrossie et à l’accent patoisant. Certes, mais on peut supposer aussi que cette jeune femme l’adorant pour lui-même et sans prétention intellectuelle était reposante pour un souverain cerné par les sermonneurs, les flagorneurs et les persifleurs... Au printemps 1679, Mlle de Scudéry s’interroge : "Je ne saurais que vous dire des amours du Roi. Il est dehors, il est dedans, il n’y a rien d’assuré."

Il est "dedans" si l’on en juge par la grossesse affichée de la demoiselle en août à Fontainebleau, lors des cérémonies de mariage de Marie-Louise d’Orléans avec Charles II d’Espagne. Quand a-t-elle accouché ? Son enfant a-t-il été empoisonné ? On ne sait, sinon qu’elle est triste, se montre peu et "paraît quelquefois comme une divinité", écrit Mme de Sévigné. Son état de santé — des hémorragies récurrentes — ne lui permet pas de participer à la vie de la Cour qui guette ses moindres déplacements et les signes de sa faveur.

Une mort entourée de mystère

En avril 1680, elle est titrée duchesse de Fontanges avec une pension de 80 000 livres. Est-ce la récompense de ses "bons services" et l’annonce de son éloignement comme ce fut le cas pour La Vallière ? Certes Louis XIV a communié à Pâques mais a-t-il cessé de "pécher en bête" comme le martèle Bourdaloue du haut de sa chaire ? Les rumeurs d’une deuxième grossesse circulent et Mme de Maintenon, à l’automne 1680, écrit : "Le Roi vit dans une habitude de péché mortel qui me fait trembler." Cependant la marquise est de belle humeur. Elle a été nommée deuxième dame d’atours de la dauphine, tandis que Mme de Montespan médite sa défaite.

Quant à Mlle de Fontanges, jalouse à son tour, elle démontre qu’à défaut d’esprit elle ne manque pas de repartie, ainsi lorsque Mme de Maintenon l’adjure de faire son salut en quittant le roi : "Mais Madame, vous me parlez de me défaire d’une passion comme de quitter une chemise." La suite n’est que l’histoire obscure et tragique du calvaire de Marie-Angélique, de ses brèves rémissions, de ses splendides retraites à l’abbaye de Maubuisson puis de Chelles dont sa sœur a été nommée abbesse, et de sa mort au couvent des visitandines de Port-Royal, le 28 juin 1881, au petit matin.

Cette gravure représente la visite, surement imaginaire, de Louis XIV à Mlle de Fontanges à l’abbaye de Port-Royal.
Gravure représentant la visite – probablement imaginaire – de Louis XIV à Mlle de Fontanges à l’abbaye de Port-Royal, où Marie-Angélique a vécu ses derniers jours. © Stefano Bianchetti / Bridgeman Images

Sa dernière phrase — "Je meurs contente puisque mes derniers regards ont vu pleurer mon Roi" — est apocryphe. Mais il est sûr qu’entre amour et culpabilité, Louis XIV fut déchiré et bouleversé et qu’il le prouva en...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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