L’affaire remonte à 2011. Pouvez-vous nous la rappeler rapidement ?
Il y a deux histoires. Celle des faits avérés – la chronique que tout le monde connaît – et l’histoire telle que je l’ai vécue et que je raconte dans mon livre, avec mon cheminement et mon interprétation. Xavier commet les meurtres les 3 et 5 avril, après avoir prévenu les établissements scolaires de ses enfants qu’ils ne se présenteraient pas en cours, étant malades. Il envoie une lettre extravagante à ses proches, entre le 8 et 9 avril, qui explique que toute sa famille s’est exfiltrée aux USA, étant lui-même en réalité un agent de la DEA (Drug Enforcement Administration, ndlr). La rumeur monte, mais Xavier est déjà loin, il a quitté Nantes le dimanche 10 avril. L’enquête reconstituera plus tard son long périple dans le Sud. Pendant ce temps, à Nantes, on retrouve la trace d’achats de cordage, de ciment, de sacs-poubelles de cent litres, de pelle et de pioche, par le relevé de ses cartes bleues. Tout ce qu’il faut pour commettre des meurtres. Le 21 avril, la police décide alors une nouvelle perquisition. C’est à ce moment-là que les corps sont retrouvés et leur identité confirmée. Manque celui de Xavier qui devient le suspect numéro un. Sa trace est perdue depuis qu’il a abandonné sa voiture à Roquebrune-sur-Argens. Jusqu’à ce rebondissement récent : une dépêche AFP de la mi-juillet affirmant qu’il aurait été reconnu à San Francisco, en 2015, par des amis nantais.
Il y a onze ans, lorsque les médias relaient l’affaire, à quoi pensez-vous ?
D’abord à un détail : je n’ai jamais connu Xavier sous ce nom de Dupont. D’où sort-il ? Vieux réflexe hérité de ma grand-mère, j’ai cherché dans mon bottin mondain pour vérifier la généalogie ! Le premier appel que je reçois est celui d’un ami qui m’apprend les absences, la maison fermée, les comptes Facebook à l’arrêt, les sms sans réponse. Je trouve cela étrange, sans m’inquiéter outre mesure. Le désarroi et l’anxiété s’insinuent le 12 avril lorsque j’apprends l’existence de la lettre reçue par les proches, car son contenu comporte trop d’aberrations. Puis les corps sont découverts. Je ne doute pas que ce soit Xavier le meurtrier, puisqu’il n’est pas dans la fosse. Mais ses chiens, oui, alors qu’il avait raconté les avoir placés. Il a menti sur tout.

Vous êtes sans doute l’un de ceux qui le connaissent le mieux. Comment l’avez-vous rencontré ?
C’était mon ami de jeunesse. Je connaissais toute sa famille. Et même l’emprise de sa mère à la tête du groupe de prière Philadelphia, que je n’ai pas immédiatement identifié comme une secte. Dans nos milieux catholiques, les visions, les voix, on a l’habitude. Les gens se montrent plutôt indulgents avec les mystiques. Nous nous sommes rencontrés en terminale, à Versailles, où j’ai fait mon entrée avec vingt-cinq jours de retard pour terminer le tournage d’un film (L’Hôtel de la plage, ndlr). J’arrive en cours avec mon look de minet versaillais, en lançant : "J’avais des obligations professionnelles, je suis acteur !" Et je vais m’asseoir à côté d’un beau mec à l’air sympa. Sur son bureau, une photo d’Elvis Presley, mort un mois plus tôt, et que je vénère. Ce garçon sera mon pote. Nous habitons la même rue et nous avons la même moto, c’est un coup de foudre. Cette amitié a duré dix ans. Ensuite nos routes ont pris des directions différentes. Xavier, marié en province, et moi, célibataire à Paris. Mais nous avons continué à nous voir régulièrement, et toujours comme si nous nous étions quittés la veille. Quand il est venu me voir à l’hôpital, en 1996, après mon accident (de la route, ndlr), il est entré dans ma chambre en lançant : "Alors, tu es devenu cascadeur ?" Nous avons éclaté de rire. Xavier, c’était cela aussi.

Avez-vous eu conscience de ses problèmes financiers ou de son désespoir ?
À aucun moment. Je l’ai vu pour la dernière fois en 2008, au Murat, une brasserie parisienne près de chez moi. Nous avons plaisanté, ri, et j’ai dragué un peu les serveuses... Je suis en fauteuil roulant maintenant, et Xavier ne m’a jamais accablé de ses propres soucis. Il y avait cette élégance chez lui et on nous a appris la foi, l’espérance, la charité : notre éducation catholique.
Vous l’appelez "mon jumeau mental" ?
Oui, pendant dix ans, il l’a été. Jamais je n’ai pensé que ce mec était dangereux. Mais après les meurtres, en épluchant les dossiers, j’ai compris qu’il y avait deux Xavier : l’ami adorable... et lefils de sa mère.

Pour vous, il a été pris d’un coup de folie ?
Non ! C’est une longue programmation : à partir de 1995, Xavier a l’impression que tout s’écroule autour de lui. D’abord il apprend qu’il s’est fait berner par sa mère et son épouse : il n’est pas un "élu" et sa femme est infidèle. Ensuite j’ai eu mon accident, qui l’a profondément choqué. Puis son père est mort, et ce n’est pas lui qui hérite de sa chevalière, mais son demi-frère. Du vivant de son père, il n’aurait jamais commis cet acte. Il avait trop de respect pour lui et pour la lignée des Ligonnès.
Quelle est votre interprétation ?
Tout s’accumule... Ses origines versaillaises, la pesanteur du milieu, l’embrigadement mystico-apocalyptique maternel, une tendance à la schizophrénie, l’adultère de son épouse, le désaveu de son père, puis sa mort. Xavier a fait ce que les Américains appellent un "reset". Il a voulu tout effacer. Bande vierge. Les USA, c’est ce qu’il a toujours voulu retrouver, le voyage initial de ses 18 ans où il est à nouveau libre. Sans famille, sans problème, où tout est encore possible. Peut-être avait-il aussi le fantasme du crime parfait, celui du joueur d’échecs qui maîtrise tout, lui qui a raté mariage et carrière ; lui qui a déçu son père en s’endettant, puis en lui volant son argent.

Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de votre livre ?
La douleur de cette question lancinante : que fais-tu quand tu découvres que ton meilleur ami est un monstre ? Je considère comme un devoir, non pas de sauver l’autre, cela sonnerait un peu trop judéo-chrétien, mais d’essayer de comprendre, sans juger. J’aimerais aussi que justice soit rendue et que ne soient pas oubliés Agnès, Arthur, Thomas, Anne et Benoît.
Pensez-vous que Xavier soit encore vivant ?
Il y a sept ans, il a été vu aux USA... Je suis certain qu’il est toujours là-bas. Xavier peut rebondir. Il est parti avec pas mal d’argent, en vidant les comptes de sa femme. Il est très malin, très séduisant. Il parle parfaitement anglais et espagnol, il peut donner des cours de français et de mathématiques, séduire une femme...

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