A Very British Scandal : la chute de la duchesse d'Argyll

Après avoir joué Élisabeth II dans The Crown, l’actrice britannique renoue avec cette période historique dans une fiction de la BBC, A Very British Scandal*. Elle y interprète la sulfureuse Margaret Campbell, dont le procès pour divorce défraya la chronique dans l’Angleterre des années 1960.

Par Pauline Sommelet - 03 février 2022, 07h33

 La comédienne Claire Foy, impériale dans le rôle de Margaret Campbell, portée à l’écran par la BBC.
La comédienne Claire Foy, impériale dans le rôle de Margaret Campbell, portée à l’écran par la BBC. © 2021 Sony Pictures Television/Blueprint Pictures Champ personnalisé 1:

Quel est le point commun entre Anne Boleyn, Élisabeth II et la duchesse d’Argyll ? "À part le fait que je les ai jouées toutes les trois, je ne vois pas vraiment !" Avec son sens de la repartie et son accent britannique à couper au couteau, Claire Foy ne se départit pas d’un humour plein de flegme que n’aurait pas renié son "anti-héroïne" du moment. Avant de poursuivre : "Élisabeth II a été élevée pour devenir reine et a appris très tôt à dominer ses sentiments pour faire bonne figure. Margaret Campbell, elle, n’était personne au départ et n’a jamais laissé quiconque lui dicter sa conduite, ce qui a causé sa perte."

La duchesse d’Argyll, un caractère ambivalent, voire détestable

De son propre aveu, l’actrice ne savait rien, avant de jouer dans la mini-série de trois épisodes que lui consacre la BBC, de cette figure de la société britannique qui fut pourtant l’une des débutantes les plus célèbres de son époque et dont le divorce pour adultère avec le duc d’Argyll, en 1963, occupa les manchettes des tabloïds pendant des semaines entières. En effet, parmi les éléments probants fournis par le mari et plaignant, qui les a dérobés en pleine nuit dans la chambre à coucher de sa femme avec la complicité de sa propre fille, figurent des journaux intimes et des Polaroid compromettants. Sur l’un d’eux, la duchesse d’Argyll, seulement vêtue de ses trois rangs de perle, est immortalisée en pleine fellation avec un homme dont le visage n’apparaît pas sur la photo.

Claire Foy incarne la duchesse d'Argyll, une femme considérée comme "aux moeurs légères".
Claire Foy incarne la duchesse d'Argyll, une femme considérée comme "aux moeurs légères". © Sanjay Nimmagudda/Amazon Studios

À l’époque, la presse se déchaîne, tout comme le juge, lord Wheatley, qui rend son jugement durant plus de quatre heures en qualifiant la duchesse de "totalement immorale". "Les photographies ont établi que non seulement la duchesse entretenait des relations adultères avec un ou plusieurs hommes, mais elles révèlent aussi que c’est une femme aux besoins sexuels intenses, qui ne pouvait plus se contenter de relations normales et qui avait donc commencé à s’adonner à des pratiques répugnantes pour assouvir son appétit sexuel."** Le troisième épisode de la série se concentre sur ce divorce retentissant que la réalisatrice, Sarah Phelps, désirait porter à l’écran depuis de longues années pour éclairer d’un jour nouveau le personnage de Margaret, "harcelée par la presse avant même que ce phénomène n’existe". 

Adulée pour sa beauté et son style, la duchesse d'Argyll était de toutes les soirées mondaines.
Adulée pour sa beauté et son style, Margaret Campbell était de toutes les soirées mondaines. © Sanjay Nimmagudda/Amazon Studios

Tout en soulignant les rouages sexistes de la société de l’époque, surtout au sein de l’aristocratie, la fiction n’élude en rien le caractère ambivalent, voire parfois franchement détestable, de la duchesse d’Argyll : elle est capable de mettre en doute la paternité des deux enfants que son mari a eus de son précédent mariage à l’aide de lettres anonymes, ou de donner en pâture aux journalistes le nom de sa propre belle-mère comme maîtresse de son mari. "Ce fut un personnage difficile à incarner car il y a beaucoup d’aspects chez elle avec lesquels j’étais en désaccord, précise encore son interprète, surtout ceux qui se sont révélés dévastateurs pour son entourage. Je me suis donc efforcée de la jouer sans la juger, juste en décrivant la réalité de ce qu’elle vivait."

Une vie faite de grands bonheurs et de drames terribles

Quand elle rencontre le duc d’Argyll en 1951, Margaret Whigham est au sommet de sa beauté et de sa réputation mondaine. Pourtant, la vie l’a déjà gratifiée d’un nombre conséquent de bonheurs et de drames. Fille unique d’un riche Écossais, elle a eu une idylle avec le prince Ali Khan et été fiancée au futur comte de Warwick. Après une brève liaison avec l’acteur David Niven, elle a dû subir un avortement clandestin à 16 ans. Lors de son premier mariage avec le séduisant Charles Sweeny, un entrepreneur anglo-américain champion de golf, elle fait la une des journaux et Norman Hartnell, qui a déjà réalisé sa tenue de débutante, lui dessine une robe magnifique qui servira d’inspiration, des années plus tard, pour celle de la future Élisabeth II.

La 11e duchesse d'Argyll avant un bal, dans les années 1950.
Margaret Campbell, photographiée avant un bal, en 1953. © Evening Standard / Intermittent / Getty Images

Mais après avoir survécu de justesse à une première fausse couche, elle doit en affronter sept autres avant de mettre au monde un enfant mort-né, puis ses deux enfants, Frances et Brian. En 1943, une chute de plusieurs mètres dans un ascenseur la laisse quasi morte, puis handicapée, avant qu’elle ne retrouve l’usage de ses membres. "J’aurais aimé que nous puissions inclure toutes ces dimensions de son personnage, qui éclairent sa complexité, souligne Claire Foy. Malheureusement il nous aurait fallu beaucoup plus d’épisodes !"

Margaret pose avec son premier époux, Charles Sweeny, et leur première petite fille Frances, en janvier 1938.
Margaret, son premier mari, Charles Sweeny, et leur fille Frances, en 1938. ©  Sasha / Intermittent / Getty Images

Avec Ian Campbell, Margaret fait son entrée au sein de l’aristocratie britannique. En succombant au charme du duc, elle est aussi tombée amoureuse de son manoir écossais d’Inveraray, pour lequel l’argent de son père arrive à point nommé : la toiture menace de s’envoler. Elle accepte aussi de financer l’improbable entreprise de sauvetage d’un galion espagnol dans laquelle son mari s’est lancé, en espérant faire fortune.

Le duc et duchesse d'Argyll posent sur leurs terres d'Inveraray.
Ian et Margaret Campbell, 11e duc et duchesse d'Argyll devant leur demeure écossaise d'Inveraray. © Popperfoto / Contributeur / Getty Images

D’un tempérament irascible et violent, drogué aux médicaments, le duc a du mal à tolérer la soif de liberté de sa femme, qui entretient des relations aussi bien amicales qu’amoureuses avec d’autres hommes. Il produira devant le juge le nom de 88 amants supposés de Margaret, dont certains homosexuels, ce qu’elle refusera d’invoquer pour sa défense afin de ne pas les mettre en danger, l’homosexualité étant encore, en 1963, en Angleterre, passible de prison.

Quant à l’identité du fameux "homme sans tête" du Polaroid, elle donna lieu à d’innombrables suppositions et investigations, depuis le gendre de Churchill, Duncan Sandys, alors ministre de la Défense, jusqu’à Sigismund von Braun en passant par Douglas Fairbanks Jr. La duchesse d’Argyll ne révéla jamais son nom.

Claire Foy et Paul Bettany interprètent le duc et la duchesse d'Argyll dans la nouvelle série de la BBC, "A Very British Scandal".
Claire Foy et Paul Bettany interprètent le duc et la duchesse d'Argyll dans A Very British Scandal. Le duc accusera sa femme, photos à l’appui, de relations adultères avec 88 hommes. © Sanjay Nimmagudda/Amazon Studios

Après son divorce, elle connut progressivement la solitude et la pauvreté, en dépit de la publication de son autobiographie à succès en 1975. Elle est morte en 1993, fidèle à la devise qu’elle avait adoptée : "Toujours un caniche, seulement un caniche ! Ça, et trois rangs de perles ! Voilà ce qui est absolument essentiel à ma vie." 

*A Very British Scandal, à voir sur Salto à partir du 4 février 2022.

** The Duchess Who Dared, par Charles Castle, Swift Press, 2021.

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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